Un voyage initiatique vers soi-même. Compte-rendu de lecture d’Autopsie d’un papillon de Jean-Noël Sciarini
J.-N. Sciarini (2015). Autopsie d’un papillon, Genève : Joie de lire ©
Dans le cadre de la soirée de vernissage de la Plateforme voielivres, on m’a demandé de présenter un des six auteurs nominés pour le prix ISJM. Etant une adulte à la vie bien remplie, je dois avouer avoir repoussé la lecture de ce roman à la dernière minute et m’être attelée à mes devoirs un peu à reculons.
Pitch
Et pourtant… Intriguée par les citations inaugurales – REM et Bruce Springsteen, voilà qui était de bons augures – je me suis plongée dans l’histoire de Mark Spitz Simon, un jeune champion de natation, spécialiste de la nage papillon, qui quitte la province avec sa famille pour s’installer à Paris et suivre la filière sport-étude dans un lycée de la capitale. Ce déménagement est censé le propulser vers de nouveaux podiums, vers l’accomplissement d’un rêve qui, on le comprend rapidement, est finalement plus celui de son père que le sien. Dès son arrivée, Mark a de la peine à s’acclimater à la vie parisienne. Très rapidement se dessinent des frontières autour de son quartier qui paraissent toutes infranchissables. Le square des Batignolles, la 128ème marche de l’escalier de Montmartre… Petit à petit le jeune narrateur fait part de son malaise, de l’oppression qu’il ressent, de ses angoisses. Rien ne semble pouvoir l’apaiser, pas même Marie, marathonienne et camarade de classe, qu’il aime, mais qu’il n’a de cesses d’éconduire.
Structure
Le roman est divisé en quatre parties, dédiées respectivement aux quatre éléments. Quatre parties pour rendre compte d’un voyage initiatique vers soi-même et les autres, dans cette ville de Paris qui apparait tout d’abord féroce, monstrueuse et désespérément fermée, mais qui finit par montrer un autre visage d’elle-même, un visage, je cite, « incomparablement plus riche et plus vaste » (p.305).
Partant de l’eau ensanglantée de la baignoire dans laquelle il est né et celle des bassins chlorés, Marc doit d’abord buter contre la terre froide de Paris, véritable personnage du roman qui révèle un mal au nom inquiétant – l’agoraphobie –, puis il doit éprouver le feu des questions existentielles au péril parfois de sa vie, pour enfin pouvoir quitter sa vieille peau et s’envoler, tel un papillon, vers ce ciel matérialisé à la fin du roman par la marelle que dessine Marie sur le sol.
Ecriture
L’écriture est celle de l’intimité, du journal qu’on écrit pour soi, des lettres qu’on aimerait écrire aux personnes qui importent. Elle est dense, rythmée, parfois poétique. Elle tient en haleine le lecteur et parvient à lui faire vivre intimement l’oppression angoissante du narrateur.
Extrait
« S’il restait encore un espoir, un seul et unique espoir, pour reprendre en main ma destinée, je n’avais pas le droit de le laisser filer.
Et il restait un espoir au fond de moi je l’avais toujours su.
Pour le concrétiser, il me fallait faire le chemin inverse de celui que j’avais réalisé seize ans plus tôt, à ma naissance : ce jour-là, je m’étais débattu pour ne pas retourner immédiatement dans l’obscurité ; aujourd’hui, j’allais m’abandonner pour rentrer dans la lumière. Quitte à me bruler les ailes. Mais vivre, enfin.
Me laisser couler le plus longtemps possible, et revenir à l’état de larve. Pour tout recommencer. Pour prendre un nouveau départ. Ne plus être cet enfant-papillon, ni vraiment enfant ni papillon, ne plus être ce bâtard depuis toujours écartelé par les quatre éléments.
Renaitre. Petit d’homme ou de chenille, qu’importe, mais renaitre. Enfant courant à vive allure, heureux et insouciant, dans les rues de Paris, ou papillon voltigeant dans le ciel, au-dessus du Sacré-Cœur, qu’importe. Ne plus être ce mutant, ne plus être ce bâtard. N’être plus qu’un. Naitre. » (Chapitre 3, Le feu, p. 182)
En classe ?
Les thématiques abordées, les spécificités génériques, le style d’écriture sont autant d’éléments qui, me semble-t-il, justifieraient de travailler en classe sur ce que j’appellerais « l’écriture de la réception ». Cette modalité d’écriture permettrait aux élèves de s’approprier le roman et de construire, à mesure de leur lecture, une relation esthétique à l’œuvre de Sciarini. Ainsi, dans le cadre d’une lecture par dévoilement progressif, il serait intéressant de demander aux élèves de produire différents genre de textes, parmi lesquels : (i) l’écriture réflexive à partir d’une question ouverte en lien avec une des thématiques du roman ; (ii) l’écriture d’impressions personnelles après la lecture, par exemple de l’extrait que je vous ai lu ; (iii) l’écriture littéraire enfin, en demandant par exemple d’écrire, selon les modalités du journal intime présentes dans le roman, un chapitre adoptant le point de vue de Marie. Ce serait l’occasion ainsi de travailler sur le genre, mais également une manière de conduire les élèves à concrétiser le monde de l’œuvre, à combler les blancs du texte en convoquant leur imagination, puisque nous n’avons pas accès, en tant que lecteur, aux pensées et sentiments de la jeune fille.
Epilogue
Vous l’aurez compris, je n’ai pas perdu mon temps, mardi après-midi. Ce roman-jeunesse m’a touchée. Les questionnements du narrateur ont raisonné en moi et engendré une réflexion personnelle, qui certes s’origine dans la question, sensible, didactique, de l’effet produit par la lecture des œuvres littéraires sur de jeunes lecteurs, mais qui, assurément, va bien au-delà.
Chloé Gabathuler, Université de Genève, Chloe.Gabathuler@unige.ch
Chronique publiée le 22.02.2016