Tommy l’enfant-loup : réalisme et magie à la québécoise
© Tommy l’enfant-loup, de Julie Rocheleau et Samuel Archibald, éditions Le Quartanier, 2015, Source : https://www.lequartanier.com/catalogue/tommy.htm
« Les neiges de juin, dans les montagnes, augurent souvent d’étranges prodiges. Un vent d’hiver chasse la chaleur en dessous des sapins et la terre en se crispant exhale de grandes volutes de brume autour des habitations et le long des chemins. Les gens attendent que l’anomalie passe, cachés dans leur petit camp en bois rond, en priant pour que le vent de nulle part n’arrache pas le toit d’au-dessus de leur tête. » (p. 7) La table est ainsi mise pour un récit à l’atmosphère mystérieuse, mêlant des éléments autobiographiques à la fiction. Tommy l’enfant-loup, de Samuel Archibald, qui s’est valu le Prix jeunesse des libraires du Québec 2017, est l’incursion princeps de l’auteur dans la littérature jeunesse. Originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, au Québec, il a campé son récit dans son Arvida natal, dans un ailleurs un peu lointain et obscur. Son œuvre puise dans un imaginaire parfois sordide, parfois idyllique, nourri de la beauté dramatique des paysages de la forêt laurentienne, des légendes amérindiennes et d’une réalité régionale plus poétique qu’il n’y parait.
L’enfant-loup
Lors d’une nuit très froide, quatre chasseurs – l’un grand, l’autre avec une casquette d’une équipe de baseball, un autre encore qui n’était pas vraiment un chasseur et un dernier qui était vraiment peureux – trouvent quatre louveteaux dans une petite grotte. Le quatrième louveteau est le plus farouche : il claque des dents et mord. Le chasseur-qui-n’en-est-pas-vraiment-un découvre avec stupéfaction que le louveteau farouche est en fait un petit être humain d’environ sept ans, tout sale, et transi de peur et de froid.
© Tommy l’enfant-loup, de Julie Rocheleau et Samuel Archibald, éditions Le Quartanier, 2015, Source : https://www.lequotidien.com/archives/la-region-et-arvida-au-coeur-de-loeuvre-992983cb0aaaa94bc8497065c5683563
L’enfant retrouvé se fait adopter par un couple vivant à Arvida et donner le nom de Tommy. Lui qui a été élevé parmi les loups et qui a adopté certaines de leurs mœurs est vu comme « bizarre », et se fait harceler par des camarades de classe. Tommy n’est résolument pas un enfant comme les autres : il « court plus vite que tout le monde », mange sa viande saignante, refuse de se faire couper les cheveux, arbore un look négligé et un comportement somme toute sauvage. Son entrée dans le monde des humains lui fait vivre la solitude et affronter des problèmes d’adaptation et de discrimination. Plusieurs bouleversements vont amener Tommy à ressentir l’« appel de la forêt ». Tommy est-il donc un enfant ou un loup ? Sa rencontre avec Bill Bilodeau, l’ami des animaux, constituera le déclic inespéré de sa quête identitaire…
Quand le surnaturel s’immisce dans le réel
Le récit, mené de main de maitre par Samuel Archibald, prend véritablement la forme d’un conte, avec une narration à la première personne et des références répétées à l’histoire personnelle de l’auteur : son école primaire, son frère, l’équipe de baseball du coin, etc. Ainsi ancré dans le réel, le récit captive et se magnifie chaque fois que surgissent des éléments magiques, ou simplement plus irrationnels. L’ambiance énigmatique, entre mythe et réalité sensible, est renforcée par les magnifiques illustrations en noir et blanc de Julie Rocheleau. Les images, aux traits assurés toujours brillamment exécutés, complètent l’histoire plutôt que de se contenter d’appuyer la mise en mots. Elles sont véritablement partie prenante du récit. L’importance des illustrations est telle, que même le dénouement de l’histoire de Tommy, esquissé par le texte, est littéralement porté par les images. L’interprétation est alors laissée à la discrétion des jeunes lecteur·trice·s.
Allant du grave au comique, ce livre sur la différence et la recherche de repères identitaires constitue un diamant brut de réalisme et de magie pour pré-adolescents, à la québécoise. Petits et grands lecteurs seront ravis à la lecture de ce livre touchant qui donne chaud au cœur, après quelques frissons !
© Tommy l’enfant-loup, de Julie Rocheleau et Samuel Archibald, éditions Le Quartanier, 2015, Source : http://rocheleau.format.com/illustrations-jeunesse#5
Ébauche de pistes de réflexion didactiques…
La richesse lexicale des quelque 76 pages que contient cette curiosité littéraire présente un potentiel didactique indéniable pour les classes de 5-8H. L’accès au sens, pendant la lecture de Tommy l’enfant-loup, se fait entre autres par l’entremise d’une réflexion approfondie sur les objets lexicaux, en passant par un petit aparté sur les variétés linguistiques. Voici donc rassemblés ici quelques éléments linguistiques intéressants, curieux ou rares, dont l’analyse en classe permettra d’éclairer des lanternes, et peut-être même (!), d’allumer des flammes.
- Relevons d’abord quelques expressions et références culturelles comiques : « Il était en sandwich entre nous deux, qui avons trois ans de différence » (p.20), « Tommy était un loup-garou, pareil que dans le clip de Michael Jackson » (p.26) ou encore « Les gens qui riaient de lui disaient qu’il avait de l’eau dans la cave» (porter des pantalons trop courts, p.20).
- Le conte est évidemment empreint de québécismes délicieux, dont l’humour et l’ingéniosité n’apparaissent que par un travail de découverte lexicale: avoir de la misère (avoir de la difficulté), se conter des peurs (s’imaginer le pire, p. 9), bobettes (caleçon, petite culotte, p. 21), menteries (mensonges, p. 24), achaler (agacer, p. 27), gravelle (fin gravier, p. 54), etc.
- De plus, certains mots, multimorphémiques, peuvent être analysés avec les élèves en en décomposant les parties (notamment froidures ou décharnée, p. 11).
- D’autres mots ou expressions, plus rares, permettent une incursion inspirée : détaler comme un lièvre (p. 14), augurer, volutes, (p. 7), promontoire (p. 21), écarquiller les yeux (p. 30), fagoté (p. 32). Ces expressions imagées, locutions rares et curiosités linguistico-culturelles peuvent faire l’objet de courtes séances d’approfondissement menées par l’enseignant·e, afin d’aller à la recherche du sens perdu !
Un mot sur l’auteur[1]
Samuel Archibald est un des auteurs québécois contemporains les plus prometteurs. Son premier roman, un recueil de nouvelles intitulé Arvida, paru en 2011, a conquis nombre de lecteur·trice·s, et a été récipiendaire du Prix des libraires du Québec 2012. L’auteur est aussi professeur à l’Université du Québec à Montréal au département d’études littéraires, où il enseigne le cinéma, la littérature populaire et la littérature de genre (policier, fantastique/horreur, science-fiction).
[1] Source : http://professeurs.uqam.ca/component/savrepertoireprofesseurs/ficheProfesseur?mId=AsyYaW7%252bdr4_
Par Rosalie Bourdages, assistante-doctorante à la HEP Vaud, rosalie.bourdages@hepl.ch
Chronique publiée le 30 avril 2018