Un camper van, une voiture, un bus 

Une envie de partir à l’aventure, de traverser un pays, de vivre en autarcie, de partir au loin  

La nécessité d’accomplir une mission, de délivrer un message, de revoir quelqu’un·e, de fuir 

Le désir du vide, d’un imprévu renouvelé chaque jour, d’une vie non planifiée 

Des rencontres à cultiver, des échanges pour s’enflammer avec d’autres voyageur·se·s qu’on ne reverra plus car nos routes se sont seulement croisées 

Une urgence de vivre l’intensité de l’instant, comme un moment extrait de tout passé et de tout futur 

© Editions Pocket Jeunesse 

On a tous et toutes une représentation du road-trip nourrie par le cinéma ou par la littérature. Que l’on vibre plutôt pour Into the wild ou pour Easy rider, on se rejoint peut-être dans le sentiment grisant de liberté et de libération que procure la décision de quitter ce qui fait son quotidien. Pour aller vers quelle autre réalité ? Pour réaliser quel projet ? Voie Livres vous propose de traverser deux romans de jeunesse qui adoptent le road-trip comme fil narratif. En route ! 

Un road-trip, qu’est-ce que c’est ? 

Lorsqu’on cherche un équivalent francophone à « road-trip », on réalise rapidement que « récit de voyage » ne lui correspond qu’imparfaitement, en termes de visée, de forme et de sens. En effet, le récit de voyage est un genre référant à une tradition littéraire qui a connu une grande expansion au XVIIIe siècle, à la faveur de la naissance et du développement du tourisme. Plusieurs anthologies retiennent le récit de Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, publié dans son édition originale en 1578, comme le récit fondateur du genre. Ce texte relate la rencontre entre Jean de Léry et le peuple Toüoupinambaoults présenté de manière contrastée : l’auteur-narrateur respecte et admire les Autochtones, mais les dépeint également comme des humains primitifs et bestiaux. En d’autres termes, il construit un rapport inédit à l’altérité, à une époque où les rapports sociaux se jouent à l’échelle locale ou régionale. Le récit de voyage, dans ses acceptions et ses formes renouvelées, relate généralement des faits, se fonde sur des mémoires de voyages et décrit de manière minutieuse les lieux et les peuples visités. 

Le road-trip, quant à lui, peut se fonder sur des faits réels, mais il demeure essentiellement un récit de fiction. Une autre caractéristique distinctive, c’est qu’il intègre une dimension initiatique. En héritier du Bildungsroman, le road-trip raconte une transformation : celle, extérieure, du voyage et du monde qu’on découvre, ainsi que celle, intérieure, de soi et de son identité. Si certains voient dans L’Odyssée d’Homère le premier road-trip, d’autres placent son émergence au cours du XXe siècle. La littérature anglo-saxonne a produit des œuvres qui ont particulièrement marqué l’histoire littéraire : citons à titre d’exemples Into the wild, de Jon Krakeur, Sur la route, de Jack Kerouac ou encore Un bon jour pour mourir, de Jim Harrison.  

Mais la littérature de jeunesse a également investi ce genre : découvrons à présent deux romans qui conjuguent ces caractéristiques d’initiation, d’apprentissage et d’émancipation. 

© www.pexel.com

Retourner sur les traces de son passé avec L’incroyable voyage de Coyote Sunrise 

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Coyote est une adolescente qui vit avec son père, Rodéo, dans un bus scolaire réaménagé. Le roman dévoile peu à peu les raisons qui ont mené les deux personnages à vivre en nomades, s’installant pour quelques mois à un endroit, puis à un autre, changeant d’ancrage au fil du temps qui passe : la mère et les sœurs de Coyote ont perdu la vie dans un accident de voiture et pour survivre à cette perte, Rodéo a fait table rase du passé. Un jour, Coyote apprend que le parc de son enfance va prochainement être détruit. Or, dans ce parc, se trouve le dernier souvenir qu’elle a de sa mère et de ses sœurs : une boîte qu’elles avaient enterrée peu avant l’accident où tout a basculé. S’engage alors une course contre-la-montre pour parvenir au parc avant sa destruction. Et comme jamais Rodéo n’aurait accepté volontairement de conduire sa fille sur les lieux de leur ancienne vie, le road-trip se déroule tout en masquant sa destination. 

Durant la traversée des Etats-Unis, les aventures et les rencontres se succèdent, mettant en scène des personnages dont les destins vont s’entrecroiser aux leurs.   

Ce road-trip aborde les thèmes du deuil, évidemment, mais aussi de l’amitié, du courage en les problématisant et en interrogeant les différentes facettes de leur signification dans des contextes variés portés par la fiction. Mais au-delà de ces dimensions, c’est de quête identitaire dont il est question dans L’incroyable voyage de Coyote Sunrise: jusqu’à quel point on peut se perdre pour survivre et à quelles conditions on peut retrouver une existence. Ainsi qu’un nom. 

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Lorsqu’on interroge l’auteur du roman, Dan Gemeinheit, sur le message qu’il voudrait transmettre à ses lecteurs et à ses lectrices, voici ce qu’il dit : 

« La lecture permet beaucoup de choses, mais la chose la plus importante est qu’elle permet de développer l’empathie. Lire des textes que l'on aime et qui nous amènent à penser et à ressentir des émotions n'est pas seulement un moyen de faire passer le temps, même si c'est le cas. C'est un moyen d'entrer en contact avec d'autres personnes et, même, de devenir une meilleure personne. Si vous pouvez faire preuve d'un peu plus d'empathie et de compréhension à l'égard d'autres personnes et de ce qu'elles vivent – cela semble exagéré de le dire, mais – cela rend le monde meilleur. Plus il y aura d’adultes et d'enfants qui liront des livres qui les conduiront à penser et à ressentir des émotions et de l’empathie, alors meilleur sera le monde. Et il en a bien besoin en ce moment. »[1]  

L’incroyable voyage de Coyote Sunrise invite à se placer tour à tour dans la peau de l’adolescente et du père, travaillant ainsi sur la notion de sujet-lecteur et sur l’opportunité de s’identifier au point de vue, aux choix et aux émotions des personnages. 

Se projeter dans un autre avenir, avec Les sœurs Lakota 

© Editions Syros 

Trois sœurs de 16, de 10 et de 6 ans, une voiture, une fuite qui les mènera de la réserve de Pine Ridge à la Californie, en passant par les Rocheuses et les déserts de sel : le road-trip de Denisa, surnommée Bearfoot en raison d’un pied bot, de ses sœurs débute par une fuite. Dans ce roman, l’auteur, Benoit Séverac dresse un portrait critique de la société américaine, notamment de la situation des Oglalas Lakota, le peuple autochtone dont sont originaires les trois sœurs. Le statut des autochtones constitue d’ailleurs un fil rouge du récit qui révèle une communauté aux prises avec un chômage endémique, un taux élevé d’alcoolisme, de toxicomanie, de violence et de mortalité prématurée. Une précarité que le récit associe avec une rupture forcée avec des traditions et des origines incompatibles avec le mode de vie occidental.  

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Le personnage de la mère des trois sœurs incarne un point de tension entre des forces contradictoires : souhaitant protéger ses filles, elle a construit une représentation du monde extérieur de la réserve comme un monde dangereux et hostile, alors que la réserve elle-même constitue une sorte de prison, dont les habitant·e·s ne peuvent que difficilement s’échapper étant rejeté·e·s par la population américaine blanche. Un autre endroit dangereux et hostile, en somme. En quittant la réserve et grâce à leur road-trip, les trois sœurs vont ainsi découvrir les paysages de leur pays, vivre des rencontres qui vont leur apprendre à discriminer les personnes bienveillantes des autres et explorer leurs racines autochtones en donnant à ces dernières une signification personnelle et libérée de certaines représentations socio-historiques délétères. 

Les sœurs Lakota est un roman d’apprentissage et d’émancipation sur la construction de son identité autochtone, en s’inscrivant dans une tradition, des luttes sociales, mais aussi dans un dépassement des stéréotypes limitants, qualifiant tant les Autochtones que les Blancs. 

Des pistes didactiques à adapter selon le roman choisi 

 

  1. La formulation d’hypothèses de lecture
  • Choisir un passage du début du roman qui présente la situation de départ, le contexte et la décision de Coyote| Denisa-Bearfoot de quitter leur lieu de vie.  
  • Demander aux élèves de formuler des hypothèses de lecture en les orientant par des questions :  
  • Quels sont les objectifs de Coyote | Denisa-Bearfoot et ses sœurs ? 
  • Quels dangers les héroïnes vont-elles rencontrer durant leur périple ? 
  • Comment les rencontres avec d'autres personnages pourraient-elles faire évoluer leur perception de la société ou de la situation ? 
  • Quels éléments du voyage pourraient permettre à Coyote | Denisa-Bearfoot de se libérer de leur passé et de commencer une nouvelle vie ?

Les hypothèses formulées pourront être validées ou infirmées au fur et à mesure de la lecture. 

2. Imaginer une nouvelle aventure qui arriverait au personnage principal et qui pourrait s’insérer dans le roman 

  • Demander aux élèves d’imaginer un épisode supplémentaire dans l’aventure de Coyote ou des sœurs Lakotas, une rencontre ou une situation qui pourrait s’insérer dans le roman.  
  • Par exemple :  
  • Un épisode de pluies diluviennes qui retarde le voyage de Coyote et qui la conduit à éprouver une solidarité nouvelle avec d’autres personnages ; 
  • Une rencontre avec un peuple autochtone différent : les sœurs Lakota pourraient faire face à un dilemme moral en rencontrant une tribu qui leur demande de l'aide mais qui ne partage pas leurs valeurs ; 
  • Un moment de réflexion mené par Coyote | Denisa-Bearfoot sur leur identité. 

Les élèves peuvent présenter leur aventure sous forme de récit court, d’illustrations ou même de dialogue entre les personnages. 

 

3. Rendre visible le parcours de Coyote et de Rodéo ou des sœurs Lakota sur un panneau mural avec illustrations du paysage ou des rencontres 

  • Créer une carte du périple. Sur un support, les élèves dessinent le parcours de Coyote entre l’Oregon et Washington | des sœurs Lakota de la réserve de Pine Ridge au Dakota du Sud jusqu’à la Californie ; 
  • Illustrer cette carte en sélectionnant des images représentant les différents types de paysages traversés ; 
  • Marquer les rencontres importantes sur la carte. 

Les élèves pourront ensuite commenter leur carte en expliquant les défis rencontrés par les personnages à chaque étape et leur évolution personnelle au fil du trajet. 

 

4. Représenter sous forme de schéma ou de carte mentale les étapes de la quête et de la transformation intérieure de Coyote et de Denisa-Bearfoot  

  • Schéma ou carte mentale : Sur un support, les élèves représentent Coyote | Denisa-Bearfoot au centre, puis tracent les différentes étapes de leur voyage.  
  • Pour chaque étape, les élèves ajoutent les personnages ou les évènements marquants, tels que les obstacles externes, les personnages importants, les moments clés de transformation. 
  • 5. Réécrire un épisode du récit en adoptant le point de vue d’un autre personnage 

Pour aller plus loin :  

  • des titres [2]

Chronique rédigée par Sonya Florey (sonya.florey@hepl.ch), professeure ordinaire en didactique du français, HEP Vaud, avec la collaboration d’Elise Pasquini, élève de 9e. 

[1] Traduction libre d’une interview audio réalisée par Bianca Schulze et publiée dans le podcast « Growing Readers’ Hearts : An Interview with Dan Gemeinhart on Coyote Lost and Found ». https://www.thechildrensbookreview.com/growing-readers-hearts-an-interview-with-dan-gemeinhart-on-coyote-lost-and-found/

[2] Nous vous renvoyons à la chronique rédigée par Carole-Anne Deschoux, sur l'ouvrage Survivre avec mon père.