Lorsque les jeunes Romands donnent leur voix : le Prix RTS Littérature Ados

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Lire, découvrir, s’émouvoir, débattre, négocier, s’étonner, argumenter, prendre la parole, voter, se rencontrer, échanger : voici, pêle-mêle, quelques verbes qui caractérisent l’aventure du Prix RTS Littérature Ados. Récompensant chaque année un roman francophone pour les 13-15 ans, ce prix est décerné directement par les jeunes lecteurs romands[1]. Retour sur l’édition 2022 qui a consacré Alain Gagnol pour son livre à suspense Même les araignées ont une maman.

Prix RTS Littérature Ados, quésaco ?

Fondé en 2006 par la Radio Télévision Suisse RTS et organisé depuis quelques années en partenariat avec l’Institut suisse Jeunesse et Médias ISJM, le Prix RTS Littérature Ados est un prix littéraire destiné aux jeunes de 13 à 15 ans de toute la Suisse romande. Au fil du temps, il a pris de l’ampleur et attire toujours plus de participants à chaque nouvelle édition.

Ce prix s’articule en trois étapes. Tout d’abord, les jeunes, réunis au sein de clubs de lecture constitués dans les classes et les bibliothèques, lisent les cinq titres de la sélection. Ensuite, chaque club choisit un à deux délégués qui participeront à un jury cantonal : lors de ce jury, les jeunes débattent autour des cinq romans et, à l’issue de la séance, ils élisent le meilleur livre pour leur canton et désignent un représentant qui se rendra aux délibérations finales. Enfin, les sept jurés issus des sept cantons romands se retrouvent pour la troisième étape, le jury final, au cours duquel les jeunes vont défendre le choix de leur canton et élire le livre lauréat du prix ; les débats sont intenses et exaltés et les points de vue des uns et des autres sont amenés à évoluer, si bien que le résultat n’est jamais couru d’avance ! Le Prix RTS Littérature Ados est ainsi plus qu’une aventure littéraire visant à la promotion de la lecture et de la littérature, c’est également une démarche sociale et démocratique. Le jour de la remise du prix, des rencontres sont organisées avec l’auteur lauréat, au cours desquelles les jeunes peuvent échanger avec lui, et lui poser des questions notamment sur son métier, ses sources d’inspiration et les thèmes qui lui sont chers. Ces rencontres possèdent trois enjeux principaux : elles permettent d’incarner la littérature – derrière chaque roman se cache un être humain qui porte un regard singulier sur le monde – de désacraliser le livre – les écrivains sont des gens comme tout le monde avec qui il est possible d’avoir des conversations et d’échanger des idées – et de valoriser les jeunes et leurs opinions.

La sélection des cinq romans en lice est effectuée par un comité composé des responsables du prix au sein de la RTS et de l’ISJM et par des bibliothécaires, libraires et professionnels du livre jeunesse. Les livres retenus sont écrits par des auteurs francophones et sont sélectionnés pour leurs qualités stylistiques et les thématiques qu’ils abordent, susceptibles de parler aux jeunes et de susciter des débats. Le comité de sélection veille également à une diversité à tous les niveaux – thèmes, styles d'écriture, maisons d'édition, auteurs hommes et femmes, etc. – afin de proposer aux jeunes un choix varié et leur faire découvrir des romans actuels vers lesquels ils ne seraient peut-être pas allés par eux-mêmes.

 

Les livres de la sélection 2022

©Nathan, 2020

 Silent Boy, de Gaël Aymon, Nathan, 2020

Anton est interne dans un lycée difficile. Si, dans la vie de tous les jours, il ne donne jamais son avis et ne fait pas de vagues, il peut néanmoins s’exprimer plus librement à ses heures perdues en discutant sur un forum en ligne, caché sous le pseudonyme de Silent Boy. Sa rencontre avec Nathan, un autre interne avec lequel il va devoir partager sa chambre, va faire changer les choses.

Un roman proche de la réalité des jeunes

Les jeunes ont aimé ce roman qui parle de nombreux sujets d’actualité : l’homophobie, l’apparence physique, le harcèlement, les relations entre filles et garçons. Ils ont apprécié suivre les deux points de vue d’Anton, dans la réalité et sur Internet, ainsi que la mise en page différente utilisée pour retranscrire les conversations du forum. Ils ont eu beaucoup de facilité à s’identifier aux personnages et cela leur a plu, de même que le langage adopté par l’auteur, qui écrit de façon très proche de leur manière de parler, même si parfois ils l’ont trouvé un peu exagéré. Selon eux, ce court roman est idéal pour les jeunes qui n’aiment pas trop la lecture, mais ils regrettent tout de même un peu qu’il n’ait pas eu quelques dizaines de pages de plus, car ils auraient aimé que certaines thématiques importantes pour eux soient plus développées.

©Gallimard Jeunesse, 2021

Olympe de Roquedor, de Jean-Philippe Arrou-Vignod et François Place, Gallimard Jeunesse, 2021

Ce roman de cape et d’épée, situé dans un XVIIe siècle idéalisé par les deux auteurs, met en scène Olympe de Roquedor, jeune marquise et unique héritière du domaine de Roquedor, qui vient de sortir du couvent où elle a été placée à la mort de son père. Son tuteur, le comte de Saint-Mesme, veut la marier contre son gré à son fils afin de faire main basse sur ses terres. Mais Olympe est une jeune fille de caractère qui ne va pas se laisser imposer son destin : elle va profiter de l’attaque de la berline qui la ramène chez elle par deux bandits pour s’enfuir dans la forêt. Aidée par Décembre, un vieux mercenaire borgne, et Oost, un jeune homme mystérieux échappé de la marine, elle va tout mettre en œuvre pour récupérer son domaine et lever le voile sur la mort mystérieuse de son père.

Un voyage dans le temps en compagnie d’une héroïne forte et déterminée

Ce qui a plu aux jeunes dans ce roman, c’est avant tout son héroïne, Olympe. Forte, courageuse et indépendante, elle ne se laisse pas abattre alors qu’elle a vécu des épreuves difficiles. Les adolescents l’ont trouvée inspirante et lumineuse. Ils ont souligné les similitudes entre son destin et celui d’Efi, l’héroïne de J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle : le mariage forcé, toutefois normal à l’époque d’Olympe, et la volonté des deux héroïnes d’y échapper et de reprendre le contrôle de leur vie. Ils ont également aimé les personnages de Décembre et de Oost et la relation qui se tisse entre eux et Olympe au fil de l’aventure. Ils ont souligné le gros travail d’écriture de ce roman à quatre mains, qui a fait appel à leur imagination et les a transportés dans une autre monde grâce notamment à son vocabulaire recherché et aux illustrations disséminées à travers le roman. Certains n’avaient jamais lu ce type de roman historique et d’aventure et ils ont beaucoup apprécié cette découverte.

©Actes Sud junior, 2021

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle, de Jo Witek, Actes Sud junior, 2021

Quand Efi, 14 ans, quitte son école et rentre chez elle pour les vacances scolaires, elle ne se doute pas que son monde va basculer. Elle a des rêves plein la tête et pense qu’elle a l’avenir devant elle, mais elle se rend vite compte que quelque chose a changé. Elle est désormais considérée comme nubile et donc prête à être mariée ; dès lors, elle ne peut plus s’habiller ni sortir librement. Très vite, son père l’informe qu’il a arrangé pour elle un mariage avec un parfait inconnu, bien plus âgé qu’elle. Arrachée à l’enfance, forcée d’obéir à sa famille et aux traditions, Efi va pourtant se rebeller et tout faire pour tenter d’échapper à son destin.

Une lecture coup de poing sur le mariage forcé

Ce roman n’a pas laissé les jeunes indifférents, filles comme garçons. Ils ont été choqués et émus par le destin d’Efi, que ses parents considèrent comme une marchandise qu’ils peuvent échanger comme bon leur semble. Grâce à ce roman, ils ont pu réfléchir à la condition des jeunes filles auxquelles on impose un mariage, un sujet très important selon eux. Le fait que l’autrice ne situe pas explicitement le lieu du récit leur a fait prendre conscience que cette situation pouvait se produire partout dans le monde, et cela les a touchés. Ils ont trouvé que c’était un roman dur psychologiquement et plutôt pessimiste, mais qu’il était le reflet de la réalité. Une lecture coup de poing, qu’ils ont trouvée passionnante malgré le sujet sombre.

©Rouergue, 2020

©Phalaina, d’Alice Brière-Haquet, Rouergue, 2020

Angleterre, XIXe siècle. Par une froide journée d’hiver, une étrange petite fille apparaît à l'orée d'un bois. Elle a les yeux rouges et elle est muette. Elle est d’abord recueillie par un paysan, mais devant l’hostilité de sa femme, ce dernier doit se résoudre à l’amener dans un orphelinat. Le lecteur va ainsi suivre le destin de cette fillette, Manon. Fille d’un scientifique et d’une femme issue d’un peuple étrange et méconnu des humains, dotée de pouvoirs surnaturels, elle est poursuivie par un scientifique retors qui souhaite la capturer pour pratiquer sur elle des expériences afin de connaître ses secrets. Aidée par des personnages bienveillants, elle va tenter de percer le mystère de sa naissance.

Écologie sur fond de mystère et de fantastique

Les jeunes ont trouvé ce roman fantastique tout à fait à part et différent des autres titres proposés dans la sélection. C’est un roman très dense, avec de nombreux personnages et beaucoup de détails, duquel il se dégage une ambiance mystérieuse qui les a beaucoup intrigués. Ils ont apprécié le fait que la nature de Manon ne soit pas révélée dès le début du roman, et que le lecteur découvre ses origines en assemblant les différents éléments disséminés tout au long du récit. Ils ont également été sensibles aux thématiques abordées dans ce livre, comme la défense de la nature et des animaux et la protection de l’environnement, ce qui les a fait réfléchir à notre société actuelle.

 

©Syros, 2020

Même les araignées ont une maman, d’Alain Gagnol, Syros, 2020

Un tueur d’animaux sévit dans la ville où vit Thomas. Alors qu’il guette toutes les nuits son chat qui a disparu, il va faire la connaissance d’Emma, sa mystérieuse voisine, qui vit recluse dans sa maison avec son père. Une amitié se tisse peu à peu entre eux et elle lui dévoile son secret : elle est télépathe. Grâce à ce pouvoir extraordinaire, que la jeune fille doit encore apprivoiser, les deux jeunes gens entreprennent de partir sur les traces du tueur.

Du suspense pour tous les goûts

Les jeunes ont beaucoup aimé ce roman. Malgré son épaisseur, ils l’ont lu très vite grâce à la fluidité du style d’écriture, et ils ont été submergés par cette histoire qui a fait appel à leur imagination. Il leur a été facile de s’identifier aux personnages qui ont leur âge. L’écriture à la première personne du singulier leur a plu car cela leur a permis de connaître les pensées des protagonistes et de mieux entrer dans l’histoire. Ils ont trouvé enrichissant que le récit alterne les points de vue de Thomas et d’Emma et même du tueur ! Ils ont également aimé la façon dont était décrite la télépathie d’Emma, qui leur a paru très réaliste, et ont souligné le fait que ce soit aussi un pouvoir difficile à maitriser. Ce roman les a aussi fait réfléchir à la société actuelle, notamment aux apparences qui peuvent parfois être trompeuses, le tueur montrant aux autres un visage totalement différent de ce qu’il est en réalité. Ils ont jugé que ce roman pouvait être apprécié par beaucoup de personnes car il y a de l’action, du suspense, de l’intrigue, de l’humour et du fantastique, bref, de quoi plaire à presque tous les gouts.

Les délibérations finales

Le 9 avril dernier, les sept jeunes issus des sept cantons romands se sont réunis dans les locaux de la RTS de Lausanne lors des délibérations du jury final. Chaque jeune avait la mission de défendre le choix de son canton auprès des autre participants. Les discussions ont été intenses et animées. Les jeunes ont passé en revue les cinq romans : écriture, intrigue, personnages, thématiques abordées, tous les éléments ont été soigneusement examinés. Ils ont longuement débattu sur chaque roman, listant les qualités et ce qu’ils ont le plus apprécié dans chacun d’entre eux, mais aussi les points faibles et les aspects qu’ils ont moins aimés, afin de déterminer lequel méritait le plus de remporter le Prix. Après deux heures de débats passionnants et passionnés, c’est le roman d’Alain Gagnol, Même les araignées ont une maman, qui a été élu à la nette majorité.

Crédits : © RTS / Anne Kearney : Antoine (FR), Baptiste (VD), Sofia (JU), Lucio (GE), Soline (NE), Emy (VS) et Louis (BE))

Zoom sur le lauréat Alain Gagnol

©Nicolas Spiess

Alain Gagnol, lauréat de cette édition avec son roman Même les araignées ont une maman, est auteur, scénariste et réalisateur de films d’animation. Il a étudié la bande dessinée à l'école Emile-Cohl, à Lyon, et réalisé plusieurs courts métrages et films pour le cinéma, notamment Une vie de chat (2010), nommé pour le meilleur film d'animation aux Césars 2011 et aux Oscars 2012. Il a publié aussi bien des romans pour la jeunesse, comme la série Power Club aux éditions Syros, que des romans policiers à l'ambiance plutôt noire, notamment chez Gallimard dans la collection Série Noire. Il a eu la gentillesse de répondre à quelques questions suite à l’annonce de sa victoire.

Le livre lauréat du Prix RTS Littérature Ados est désigné par un jury d’adolescents. Qu’est-ce que cela représente, pour vous, d’avoir été plébiscité directement par des jeunes lecteurs ?

C’est extrêmement flatteur et encourageant ! Quand j’écris seul dans mon coin, malgré toute la passion et l’honnêteté que je peux mettre dans mon histoire, je ne sais jamais si je vais vraiment intéresser quelqu’un.

Alors recevoir un prix comme celui-ci, décerné directement par les personnes à qui je m’adresse, compte beaucoup pour moi.

À votre avis, quels sont les ingrédients indispensables pour créer un « bon » roman ado ? Et, au contraire, y a-t-il des pièges à éviter ?

Il me semble qu’il n’y a rien de plus subjectif que la notion de bon ou mauvais roman ! Quand j’écris, je m’efforce d’y mettre tout mon cœur, tout ce que je ressens et ce que je pense. Ensuite, ce n’est plus de mon ressort, et je n’ai plus qu’à espérer parvenir à toucher des lecteurs. Pour cette raison, je ne vois pas particulièrement d’ingrédients ou de trucs qui permettraient à coup sûr de ne pas se planter !  

S’il y a des pièges à éviter, je dirais que la simplification des personnages et la caricature de ce qu’un adulte pense des jeunes seraient probablement les pires. Cela reviendrait à porter un regard condescendant et un peu méprisant. Tous les adultes qui ont été jeunes dans leur vie savent ce qu’un ado ressent. 

 

Vous signez aussi bien des livres pour les adultes que pour les jeunes. Voyez-vous une différence entre ces deux types d’écriture ?

Les romans ado ou jeunesse ne sont pas pour moi un genre à part. Évidemment, il serait déplacé d’aborder des thèmes malsains, ou d’une violence excessive. La limite n’est pas toujours facile à trouver, parce qu’il ne faut pas non plus décrire un monde tout rose où rien ne collerait avec la réalité.   

Je me sens moins écrivain que raconteur d’histoires, cela vient sûrement de mon métier de scénariste. Je pense que nous avons tous un besoin essentiel d’histoires, à n’importe quel âge. Elles nous permettent de ne pas être confrontés en permanence avec la réalité, tout en nous donnant les moyens de mieux y trouver notre place. En tout cas, c’est le rapport que j’entretiens avec les livres.

En quelques mots, comment est né Même les araignées ont une maman ? D’où vous est venue l’idée de mélanger les genres du policier et du fantastique, ainsi que celle d’explorer la thématique de la télépathie ?

J’aime particulièrement les histoires qui font passer par plusieurs émotions très différentes. Des scènes de comédie à un moment, puis du drame à un autre, du fantastique, etc.

J’essaye avant tout de ne pas ennuyer les lecteurs. Je dois donc les surprendre régulièrement. C’est un jeu même pour moi qui me permet de rester en éveil. Cela a beaucoup à voir avec le rythme et je pense souvent en termes d’accélération, de ralentissement, ou de temps suspendu. Sinon, cela reviendrait à raconter une histoire à voix haute, avec le même ton monocorde.

Le thème de la télépathie est très intéressant quand on aborde un texte à la première personne. Cela permet de jouer entre ce que les personnages disent et pensent.  

Avez-vous de nouveaux projets d’écriture pour la jeunesse ?

J’ai en effet une nouvelle idée d’histoire qui parle de notre monde contemporain et de ses dérives, avec une pointe de science-fiction. Mais pour l’instant le temps me manque pour l’écrire. Je suis au milieu de la fabrication de mon prochain dessin animé pour le cinéma, et c’est un travail de longue haleine qui s’étale sur plusieurs années !

Je ne désespère quand même pas de réussir à trouver le temps de me plonger à nouveau dans l’écriture d’un livre. Tout à fait honnêtement, l’accueil fait par les lecteurs du prix RTS Littérature Ados ne fait que renforcer cette envie.

 

La remise du Prix RTS Littérature Ados aura lieu le mercredi 18 mai à 14h à la RTS à Genève, dans le cadre du Salon du livre en ville de Genève.

 

La sélection des livres pour l’édition 2023 du Prix est en cours. Elle sera dévoilée début juillet sur les sites de l’ISJM et de RTS Découverte :

 

https://www.isjm.ch/prixjurys/prix-rts-litterature-ados/

 

https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/culture-et-sport/prix-rts-litterature-ados/

 

[1] Dans cet article, par souci de lisibilité, le masculin générique est utilisé pour désigner les deux genres.

 

 

Chronique publiée le 9 mai 2022

Par Christine Fontana, coordinatrice du Prix RTS Littérature Ados pour l’ISJM, et Damien Tornincasa, responsable Ricochet et communication ISJM