Les mots pour le dire : Suggestion d’albums jeunesse pour aborder le deuil
Au regard du contexte actuel, qui a bouleversé tant la vie publique que privée, qu’en est-il des enfants ? Comment vivent-ils ce nouveau quotidien ? S’imprègnent-ils du climat anxiogène ambiant ? Que comprennent-ils des dangers ou conséquences d’une pandémie ? Et, surtout, cette situation sanitaire les confronte-t-elle pour la première fois à la mort ? Face à cette thématique délicate, qui peut émerger dans le cadre familial, comme dans le cadre scolaire, que peut la littérature jeunesse ? La pandémie du coronavirus, avec ses conséquences sociales, familiales, culturelles et psychologiques, nous force à réfléchir aux manières d’aborder le deuil avec les enfants. En ce sens, la littérature jeunesse s’offre comme un espace de réflexion pour traiter d’un sujet encore trop souvent tabou. Dès lors, comment proposer aux enfants des points de vue aidants sur la mort, qui fassent écho à leurs questionnements ou émotions ? Comment aborder une thématique qui leur est a priori lointaine, voire abstraite, mais qui, en lien avec le contexte sanitaire ou avec leurs observations de la nature ou du monde animal, s’est probablement déjà immiscée dans leur conscience ? Trois albums jeunesse, destinés à un public âgé de 5 à 8 ans, abordent la mort et le deuil, en suggérant des pistes de compréhension et des manières de s’y confronter – directement ou indirectement – avec des mots justes et sans tabou.
Ode à la vie.
Le premier ouvrage, un livre-objet, aborde de façon symbolique les différentes étapes de la vie, parmi lesquelles figure la mort. Le livre, qui se présente en petit format vertical (13cm x 26cm) a été conçu comme un leporello, soit un livre-accordéon que l’on déploie pour voir apparaître les différentes vignettes, chacune représentant un moment clé de l’existence. Voir le jour d’Emma Giuliani (©Edition des Grandes Personnes, 2013, dès 8 ans) est un livre graphique avec un visuel épuré et tout en suggestion, dont des dessins en noir et blanc, et un jeu d’ombres et de lumières qui laisse deviner une nature foisonnante, ainsi que des personnages symbolisant les grandes phases de la vie (enfance, vie d’adulte, troisième âge). Une coccinelle, a priori le seul élément de couleur, nous accompagne dans la lecture de l’album, que l’on peut lire de façon traditionnelle, en tournant les pages, ou en suivant la coccinelle, qui se balade de gauche à droite au sein de l’accordéon déployé.
De prime abord, l’ambiance visuelle de Voir le jour paraît sombre mais, rapidement, on remarque des rabats et dépliants en carton, que l’on peut bouger ou retourner pour faire apparaître des fleurs de couleur. Chaque vignette peut donc être animée au fur et à mesure de la lecture, la couleur amenant un élan de poésie et d’optimisme à l’ensemble. Le texte, minimaliste, composé de phrases infinitives inscrites au bas des vignettes, accompagne ces élans poétiques, transformant l’œuvre d’Emma Giuliani en une véritable ode à la vie.
La dimension contemplative de Voir le jour appelle une lecture philosophique. En effet, le texte et les dessins étant de l’ordre du symbolique, une grande place est laissée à la réception du lecteur·trice, qui peut se laisser porter par les messages véhiculés ou s’attarder sur une vignette en particulier en réfléchissant à sa portée. Les liens que l’on peut établir entre le texte, à valeur universelle, et les images, plus métaphoriques, se prête à une lecture à la fois poétique et philosophique autour de la signification de la vie, qui se cristallise dans des concepts tels que la naissance, l’amitié, l’amour, l’enfance, la vieillesse ou la mort. L’œuvre de Giuliani suggère la fragilité de l’existence, portée par tous ces moments précieux qui la rythment. Son déploiement horizontal imite d’ailleurs le passage du temps, tandis que la singularité matérielle de l’ouvrage (verticalité des pages, horizontalité de leur organisation, découpages, construction en leporello) lui donne un statut hors du commun, pour un sujet qui ne l'est pas moins.
Voir le jour dans un vaste univers.
Vivre grâce à la chaleur d’un autre, et donner aussi.
Mélanger ses couleurs, pour davantage de beauté.
Réconcilier les amis, ou déclarer l’amour.
Couronner les enfants, égayer les vieux jours.
Dire un dernier adieu.
Et malgré sa fragilité, résister.
Au sein de cet univers symbolique, la mort, introduite deux pages avant la fin, par la phrase infinitive « Dire un dernier adieu. », occupe une place aussi importante que la vie. Sans pathos ou tabou, la mort est représentée par un cercueil noir, recouvert d’une fleur bleue et violette. Le symbole visuel est évident, sans pour autant dramatiser la réalité de mort. Le texte insiste plutôt sur l’importance du deuil, qui s’exprime ici par une séparation, un dernier adieu et une forme de résilience à l’égard de la fragilité de la vie.
Voir le jour est une magnifique réalisation visuelle, qui ouvre un espace de réflexion autour de la vie, et donc également de la mort. Cette dernière peut être abordée avec sensibilité, en utilisant l’œuvre comme un tremplin à une discussion philosophique permettant aux enfants d’exprimer leurs visions, craintes ou émotions. La fin de la vie y est traitée avec beaucoup de délicatesse et une forme d’abstraction, en laissant beaucoup de place à l’appropriation subjective des enfants, accompagnés d’un·e adulte guidant la discussion. Voir le jour se prête notamment à des ateliers philosophiques en classe, et au sein desquels la mort peut être abordée comme un moment de l’existence humaine, parmi tant d’autres. En contexte scolaire, au premier cycle, l’objectif SHS 15 laisse une place pour ce type de discussions et d’échanges autour de la mort. Par ailleurs, nous encourageons tout enseignant·e intéressé·e par le sujet à consulter le travail d’Alix Noble Burnand, conteuse et thanatologue, et de la didacticienne Christine Fawer Caputo de la HEP Vaud, qui proposent toutes deux des ressources riches et éprouvées pour aborder cette thématique en classe.
Là-haut, le murmure des peupliers.
Le deuxième album, Mon papi peuplier, d’Adèle Tariel et Jérôme Peyrat (©Talents Hauts, 2015, dès 5 ans) a été choisi pour la thématique qu’il aborde, à savoir le décès de grands-parents. En l’occurrence, l’album traite de façon réaliste et délicate une situation qui peut être fréquemment rencontrée durant l’enfance. En ce sens, Mon papi peuplier offre des pistes de compréhension et d’appréhension du deuil, à partir du point de vue des petits-enfants. L’histoire est écrite à la première personne, sans que les personnages principaux, à savoir la petite fille et son grand-père, soient nommés. Ainsi, il est d’emblée possible pour le jeune lecteur·trice de s’identifier à l’enfant, à sa relation au grand-père, de même qu’aux émotions ressenties, tout comme existe la possibilité de lire l’album dans sa portée moins individuelle, et donc plus universelle.
L’album relate le lien spécial entre « papi » et la nature, cristallisée dans son amour des peupliers. Il aborde, en même temps, la relation privilégiée entre le grand-père et sa petite-fille. Les dessins, réalisés à l’aquarelle et extrêmement colorés, illustrent magnifiquement les moments de complicité entre les deux personnages, montrant l’enfant sur les épaules de son papi, sur ses genoux, dans le jardin ou aidant son grand-père à s’occuper des majestueux peupliers. Le texte, écrit à l’imparfait, dépeint un portrait touchant du grand-père à travers le temps. Les habitudes de ce dernier sont relatées sous forme de souvenirs, les illustrations renvoyant au point de vue de l’enfant, le texte aux souvenirs de la petite fille, désormais adulte. Le passage du temps, ainsi qu’une forme de transmission intergénérationnelle sont traités de manière touchante. À titre d’exemple, les peupliers, plantés par le grand-père, aidé de ses propres enfants, personnifient le lien immuable entre les différentes générations, malgré le passage du temps. Ainsi, symboliquement, la croissance et la transformation des peupliers se fait au rythme du vieillissement du grand-père : « Le temps passait, les peupliers grandissaient encore mais mon papi, lui, rapetissait. Son dos se courbait. L’écorce des arbres se fendillait et des lignes se creusaient sur son visage. » (p. 17). C’est alors naturellement, qu’au moment de son décès, la petite fille trouve refuge auprès de ces arbres, dont les murmures lui rappellent la voix de son « papi peuplier ».
Qu’en est-il du traitement de la mort ? Dans la planche ci-dessus, l’enfant est représentée dans la nature, sous la pluie, le regard pointé vers le haut, avec une émotion qui mélange détresse, confusion et tristesse. L’agitation de la nature fait d’ailleurs écho à l’expression faciale de l’enfant. Le texte, lui, signale le « départ » du grand-père, annoncé à sa petite-fille, sans qu’elle ne comprenne vraiment sa signification : « Peut-être avait-il tellement rapetissé qu’une petite brise l’avait emporté ? Ou peut-être s’était-il caché ? » (p. 18). C’est une fois confrontée à l’absence de papi près de ses peupliers que l’enfant comprend véritablement la portée définitive de ce « départ ». Le temps passe, le deuil se fait gentiment et les peupliers deviennent la réincarnation des souvenirs avec papi, pour la petite fille, comme pour l’adulte à venir. La dernière planche, montrant la petite-fille désormais adulte, accompagnée de son propre enfant, paisiblement assises sous les peupliers, abonde en ce sens. Celle-ci évoque l’importance des rituels de commémoration dans le processus de deuil. Plutôt que de rendre la mort taboue, Mon papi peuplier suggère, au contraire, qu’il faut laisser à l’enfant le temps et l’espace pour accueillir les souvenirs et les émotions, afin d’exprimer le lien à l’absent·e et vivre le deuil sainement, sans le réprimer. La dernière phrase de l’album, « Aujourd’hui, Papi, j’ai grandi et je suis encore là, près de toi. » (p. 25), rappelle qu’avec la mort, ce n’est pas l’oubli qui se met en place, mais d’autres façons de vivre le lien perdu, en s’autorisant à être triste ou mélancolique, à se remémorer des souvenirs ou à partager ce que l’autre a laissé comme trace immuable en nous.
Le rituel des mots doux.
Alors que le premier album traite de la mort au sein du cycle de la vie, que le second met en mots la mort naturelle d’un grand-parent, le dernier album que nous avons choisi, Le cimetière des mots doux d’Agnère Ledig et Frédéric Pillot (©Albin Michel Jeunesse, 2019, dès 5 ans) s’attaque de front à un sujet délicat et difficile à aborder avec les plus-petit·e·s : le décès d’un·e enfant.
Annabelle et Simon sont amoureux et inséparables. Leur amour s’exprime notamment par le biais de mots doux, que Simon dépose soigneusement dans les affaires d’école d’Annabelle, ou sur le chemin des bois qui accueillent leurs jeux. Leur passion commune, l’exploration de la forêt, les emmène régulièrement sous un chêne particulier, sous lequel ils se reposent et écoutent la nature leur parler. Un jour, la leucémie, dont Annabelle ne comprend pas la signification, éloigne Simon de l’école. Son absence, qui dure des semaines, et suivie d’un dernier moment de complicité entre les deux amoureux, avant que Simon ne « parte » définitivement. Le décès de Simon laisse Annabelle dans un chagrin intense, auquel elle se confronte par l’écriture de mots doux. Sous forme de geste rituel, elle enterre les messages au pied du chêne, laissant ainsi les souvenirs de Simon se répandre dans la nature.
L’album, qui aborde le thème de la mort de façon directe, le fait néanmoins avec un vocabulaire adapté aux enfants, à partir d’une écriture à la première personne, qui leur permet de comprendre, d’exprimer et d’accueillir le deuil. Le point de vue d’Annabelle universalise en ce sens la perspective des enfants sur la maladie et la mort. À titre d’exemple, une des planches représente le manque, en montrant le vide créé dans le vestiaire scolaire, par l’absence de Simon. L’illustration est accompagnée de la description du malaise de l’enseignante, qui cherche les mots justes pour expliquer l’absence du garçon. Le mot « maladie » finit par être « lâch[é] », suivi de la confusion d’Annabelle : « C’est quoi la leucémie ? » (p. 12). Sans saisir ce qu’est cette maladie, Annabelle comprend néanmoins la gravité de la situation, à sa manière. Elle ressent par exemple le manque, qui se cristallise dans les espaces vides laissés à l’école : la chaise, le pupitre ou le crochet de Simon. Au fil des planches, l’album insiste en effet beaucoup sur les émotions de l’enfant, qui traverse les différentes phases du deuil, de son incompréhension à son acceptation, en passant par le manque et une tristesse extrême.
Malgré les tentatives maladroites des adultes de la protéger, en l’empêchant par exemple d’assister à l’enterrement pour lui éviter d’être « trop triste, que ça fasse trop mal » (p. 26), Annabelle laisse son chagrin s’installer. Elle pleure et vit pleinement le manque, jusqu’à trouver refuge dans le rituel symbolique des mots doux où, accompagnée du frère de Simon, Thomas, elle laisse place aux souvenirs de son amoureux. Comme pour Mon papi peuplier, sur la dernière planche, Annabelle adulte, repense à son amoureux d’enfance, Simon. Avec le temps, le deuil, teinté de tristesse, cède la place à la mélancolie. On se remémore l’être perdu, avec tendresse et douceur : « alors je le regarde et je lui fais un sourire aussi doux que mes mots » (p. 32).
Plutôt que de passer par une mise en mots détournée, l’album prône au contraire une approche plus directe de la mort, avec des mots justes et au rythme de l’enfant. Abondant en ce sens, l’histoire est suivie d’une adresse aux adulte, écrite par deux psychologues. Elles y insistent sur la nécessité de parler de la mort, sans détour mais avec des mots simples, sans tricher, en la dévoilant « avec douceur et poésie ». Surtout, elles mettent l’accent sur l’importance des émotions, que les adultes devraient accueillir car c’est elles, précisément, qui permettent aux enfants de vivre le deuil de manière saine.
« Peut-être que votre enfant a pleuré ou va pleurer en écoutant l’histoire, en regardant les images.
Ce n’est pas grave.
Peut-être que vous avez pleuré ou allez pleurer en lisant.
Ce n’est pas grave non plus.
Exprimer une émotion est un premier pas pour la digérer. Et partager cela avec son enfant, c’est partager la vie dans toute sa dimension, ce qui est de notre rôle de parent. »
Pour aller plus loin.
Qu’elle soit abordée en contexte scolaire ou dans le cercle familial, la mort reste un sujet délicat à traiter avec les enfants, peut-être car elle nous confronte à nos propres peurs et angoisses, qu’on ne souhaite surtout pas leur transmettre. Pourtant, la mort fait partie de la vie, et à partir d’un certain âge, les enfants le savent. L’idée de cette chronique n’était pas de promouvoir à tout prix la parole autour du deuil mais plutôt de proposer des albums qui le pense avec finesse et poésie. Voir le jour, Mon papi peuplier et Le cimetière des mots doux ont été volontairement choisis et abordés dans cet ordre-là, afin de montrer qu’il n’y a pas une seule manière d’en parler. Au contraire, chaque situation devrait être évaluée à partir du besoin de l’enfant, pour lui proposer une mise en mots adaptée. Quelle que soit la façon de l’amener, il nous semble que la parole autour de la mort, aidée de la littérature jeunesse, devrait toujours être accompagnée d’énormément d’espace pour la communication. Expliquer, informer l’enfant, mais également le·la laisser s’exprimer librement et accueillir toutes ses émotions. L’une des pistes qui ressort des trois albums est l’importance du souvenir. Si, derrière la mort, il y a la séparation, douloureuse et involontaire, il ne devrait pas y avoir l’oubli. C’est pourquoi le tabou n’est jamais la solution. Au contraire, offrir aux enfants des moments où ils peuvent se remémorer des souvenirs, partager des anecdotes ou vivre des rituels, c’est peut-être les aider à transformer le deuil en expérience significative, parmi tant d’autres, de leur vie d’être humain.
« Oui, la mort est une violence faite aux vivants, une blessure terrible.
Oui, la mort délie, crée la rupture et le déchirement.
Oui, elle est redoutable.
Non, on ne l’apprivoise jamais.
Elle est l’autre côté de la vie.
S’y confronter sainement, c’est accepter sa présence comme inévitable et ne pas fuir dans l’illusion et le déni.
C’est accepter que la fragilité et la vulnérabilité font partie de la vie.
Lui donner une place, c’est éviter qu’elle ne prenne toute la place. »
Alix Noble Burnand, thanatologue, https://alixraconte.ch/
Pour aller plus loin, cette année, l’Institut suisse jeunesse et médias a conçu une bibliographie commentée très aboutie, qui vous permettra de cibler une thématique précise selon l’âge de l’enfant, pour raconter la mort et le deuil.
Chronique publiée le 1er mars 2021
par Violeta Mitrovic, HEP Vaud, violeta.mitrovic@hepl.ch