La littérature jeunesse diffuse souvent les clichés filles-garçons
De nombreux livres véhiculent des stéréotypes sexistes alors que « la petite enfance est une période cruciale dans la construction de la représentation du monde ».
Est-ce le signe d’une nouvelle époque ? Après l’affaire Weinstein, ce qui n’aurait indigné qu’un cercle militant hier trouve aujourd’hui un écho plus large. Un mouvement d’indignation sur les réseaux sociaux et une pétition en ligne signée par près de 150 000 personnes ont eu raison d’un ouvrage publié par les éditions Milan en février, On a chopé la puberté, destiné aux filles âgées de 9 ans et plus.
En cause, des passages jugés sexistes, par exemple où les auteures recommandent aux petites filles de couvrir leurs tétons qui pointent de plusieurs couches de tissus pour éviter les remarques des garçons… au lieu, par exemple, de rembarrer les garçons.
« Nous sommes contre ces clichés, disait le texte de la pétition publiée sur Change.org, le 2 mars. Nous voulons éduquer nos enfants sur des valeurs d’équité, de dignité et de respect. » L’ouvrage, épuisé, ne sera pas réimprimé. Le texte, qui se veut humoristique, « se positionne à hauteur d’enfant », affirmait l’éditeur dans un communiqué du 3 mars.
S’il ne se limite pas aux passages mis en avant par ses détracteurs, et prend parfois les clichés à revers, l’ouvrage véhicule effectivement des stéréotypes, en particulier celui de jeunes filles déjà très sexualisées, obsédées par leur apparence, et de garçons uniquement sous l’angle amoureux, lorgnant le maquillage et les vêtements sexy. Et ne livre que peu de conseils pour échapper à la tyrannie du regard d’autrui pendant l’adolescence.
« Période cruciale »
L’affaire attire l’attention sur les clichés sexistes dans la littérature jeunesse, que la maison d’édition Talents hauts combat, depuis 2005, dans ses livres destinés aux enfants dès 2 ans. « Les livres ne sont pas neutres, explique Laurence Faron sa fondatrice. La petite enfance est une période cruciale dans la construction de la représentation du monde. » Or, les garçons sont plus nombreux et plus valorisés dans les livres pour la jeunesse.
« Ils ont des rôles sociaux variés : astronautes, pilotes, super-héros, gendarmes, relève Mme Faron. Les filles sont infirmières, maîtresses d’école ou femmes au foyer dans l’écrasante majorité des cas. Les personnages de filles sont statiques, ceux de garçons en mouvement. Les petites filles apprennent de façon subliminale à être dociles et jolies, les garçons courageux et compétitifs. »
Les ouvrages de Talents hauts démontent les clichés. Dans Blanche-Neige et les 77 nains, l’héroïne, lasse de servir d’aide à domicile à ses hôtes trop exigeants, quitte la chaumière pour aller faire un somme dans la forêt. Deux livres en forme de déclaration des droits affirment que les filles peuvent « hurler, se défendre, se bagarrer, se mettre en colère », tandis que les garçons ont le droit « de jouer à la poupée, à la dînette, à l’élastique, à la marelle ».
Faut-il alors remiser une bonne partie des livres pour enfants, y compris de grands classiques ? « Censurer Blanche-Neige n’a pas de sens, poursuit Laurence Faron. Il faut amener les enfants à réfléchir eux-mêmes sur les images. Et leur montrer autre chose. Ce qui est dommageable, c’est le manque de variété. »
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Lire aussi : L’éducation, clé de la lutte contre le sexisme
Par Gaëlle Dupont, Journaliste au Monde.
Chronique publiée le 18 juin 2018