La découverte du plaisir de lire grâce à des modèles de lecture inspirants
Il est reconnu par de nombreuses recherches que la capacité à lire, comprendre et apprécier divers types de textes est un facteur incontournable de la réussite éducative et, par le fait même, d’une solide intégration culturelle à la société. Il est aussi reconnu que de placer les enfants dès leurs premières années de vie dans un univers de découverte du livre et de la lecture rend les enfants plus autonomes et plus enclins à découvrir le Monde avec curiosité et plaisir.
Cependant, une grande question demeure : comment faire en sorte que les enfants se développent en devenant de véritables lecteurs, c’est-à-dire des lecteurs qui savent lire, qui aiment lire et qui apprécient et comprennent différents textes? Quelles stratégies mettre en place? Quels sont les rôles de la famille, de l’école et de la communauté, à cet effet?
Le présent texte n’a pas la prétention de définir adéquatement l’ensemble de ces rôles; d’innombrables documents définissent l’école et tracent les lignes de son mandat. Cependant, il semble important d’en faire ressortir un davantage : le rôle de la communauté. C’est peut-être celui qui a fait l’objet du moins grand nombre d’études, celui qui agit le plus souvent de façon souterraine, qui tisse la base de la prévention et qui a un très grand impact dans le fait qu'un enfant devient lecteur pour la vie et non seulement un lecteur scolaire. L’expression est lancée : des lecteurs pour la vie. Non seulement des jeunes qui « savent lire », mais des jeunes qui « lisent », de véritables lecteurs!
Plusieurs pédagogues illustrent les clés pour développer des lecteurs par quatre verbes : VOIR lire, POUVOIR lire, SAVOIR lire et VOULOIR lire.
Il est indéniable que l’école, dans son mandat de base, se préoccupe de ces quatre réalités. Il faut tout de même admettre que le SAVOIR lire est au cœur de son action quotidienne. Le VOIR lire est le plus souvent cantonné à la maison, dans la famille, et le POUVOIR lire fait l’objet de nombreuses critiques tant les bibliothèques scolaires sont trop souvent dépourvues de ressources essentielles. Quant au VOULOIR lire, le domaine de la motivation, du désir, du plaisir, même si de plus en plus d’enseignants s’en préoccupent, il demeure trop souvent le parent pauvre des préoccupations quotidiennes de la classe. Et pourtant, force est de reconnaitre qu’il est à la base même de la pyramide.
Vouloir, c’est pouvoir, dit-on souvent. Ce VOULOIR, ce désir, ce gout, ce plaisir, cette habitude de lire, si on se demandait comment toute la société peut aider à les bâtir? Comment ouvrir les murs de l’école pour créer une véritable société de lecteurs? À cet effet, laissez-moi vous raconter une belle histoire...
Naissance d’une belle idée
En 1999, l’écrivain français Alexandre Jardin et le journaliste Pascal Leguénée se sont posé la question suivante : comment lutter contre le décrochage scolaire, l’analphabétisme et la délinquance chez les jeunes? Après de longues discussions, ils ont conclu qu’un vocabulaire élargi, un coffre à outils personnel rempli de mots, leur semblait un des meilleurs remèdes. Et ces mots, ce sont dans les livres qu’on les trouve. Alexandre Jardin se plait toujours à dire que « si on donnait aux enfants le pouvoir des mots, ils n’auraient pas besoin du pouvoir des poings ». Or pour que les enfants les acquièrent, il faut leur faire découvrir le bonheur et le plaisir de lire. Réalité simple et complexe à la fois. L’école fait une part importante, mais cette responsabilité ne lui incombe pas à elle seule. « Mais alors, se dirent Alexandre Jardin et Pascal Leguénée, qu’est-ce que l’ensemble de la société peut faire? Quel rôle peuvent-ils jouer eux-mêmes? » Et c’est alors qu’une idée brillante a vu le jour : « Si on allait chercher des modèles de lecteurs, des personnes pour qui le livre et la lecture représentent un plaisir constant, et qu’on les mettait en contact régulier avec de jeunes enfants pour servir de passeurs culturels, pour partager bénévolement leur plaisir avec eux? » Il ne fallait pas faire une recherche au microscope pour trouver de telles personnes. Les ainés de 50 ans et plus constituaient un immense bassin de personnes qui aiment les enfants, qui aiment lire et qui y prennent grand plaisir et qui, le plus souvent, disposent de temps libre.
C’est ainsi qu’en 1999 est née en France l’Association Lire et faire lire. Elle s'est donné une mission à la fois noble et simple : offrir dans les écoles et les services de garde à l'enfance, en collaboration avec les bibliothèques et le milieu communautaire, une expérience de lecture aux enfants de 4 à 8 ans afin de développer le plaisir de lire, d’aider à l’intégration des enfants de familles immigrantes ou d’enfants en difficulté d’apprentissage, contribuant ainsi à diminuer l’échec scolaire et à prévenir la délinquance. Cette belle aventure, en 2018, plus de 750 000 enfants en ont profité en France grâce à l’engagement d’environ 20 000 bénévoles.
Répandre le virus du plaisir de lire
Lors d’une visite d’Alexandre Jardin au Québec en 2002, il en a profité pour répandre le virus du plaisir de lire en proposant la mise sur pied de Lire et faire lire Québec. Séduits par l’idée, plusieurs organismes nationaux se sont rassemblés pour mettre sur pied l’organisme Lire et faire lire. C’est ainsi que depuis 2002, le programme s’étend dans toutes les régions du Québec et même au-delà. Et malgré une population presque 10 fois inférieure à celle de la France, aux dernières statistiques, c'est plus de 2 000 bénévoles-lecteurs de 50 ans+ qui y sont engagés, offrant le cadeau du bonheur de lire à 12 000 enfants de 4 à 8 ans.
Mais comment fonctionne ce programme incontournable? Chaque association ou organisme national a son modèle organisationnel. Mais tous reposent sur des bases communes :
- L’implication et la contribution d’ainés de 50 ans+, des bénévoles-lecteurs, qui œuvrent strictement à développer le plaisir de lire;
- La régularité des séances de lecture plaisir;
- La participation de tout un groupe ou une classe d'enfants en même temps;
- L'attribution à chaque bénévole-lecteur d'un petit groupe de 2 à 5 enfants qu'il retrouve à chaque semaine.
Sur la base de ces principes, voici comment fonctionne Lire et faire lire national au Québec
Pour respecter la dynamique régionale, le modèle est basé sur la mise en place « d’antennes locales Lire et faire lire », qui coordonnent le programme dans leur milieu respectif avec l'appui constant de l'organisme national. Les coordonnateurs voient au recrutement et à la formation des bénévoles-lecteurs, à trouver des services de garde éducatifs à l’enfance ou des écoles qui désirent profiter du programme et ils planifient les horaires de lecture. Concrètement, une fois par semaine, un minimum de 8 semaines consécutives par session, les bénévoles-lecteurs de Lire et faire lire se rendent dans un service éducatif de garde à l’enfance ou une école de leur région pour lire des histoires aux enfants et ce durant la journée régulière. Tous les enfants d'un groupe ou d'une classe doivent participer en même temps, mais de 2 à 5 enfants seront attribués à chacun des bénévoles-lecteurs qui retrouvera les mêmes enfants à chaque semaine afin que se tissent des liens affectifs dans un contexte tout à fait ludique. Pour un jeune enfant, c’est un « papi » ou une « mamie » qui vient lui lire des histoires, c’est le moment « doudou », le moment où se crée le souvenir d’une expérience heureuse.
Une des particularités importantes de Lire et faire lire est qu'il s'adresse à tous les enfants de la classe. Il est totalement inclusif. Ce n'est pas une activité de récupération pour les enfants en difficulté ou une récompense pour les meilleurs. Au contraire, faire de tous les enfants des « lecteurs pour la vie » est au cœur de la mission du programme. De nombreux témoignages de direction d’écoles, d’enseignantes et d’enseignants, ainsi que de bénévoles-lecteurs témoignent du caractère exceptionnel de ces formidables expériences de lecture.
Que retenir sur l’apport évident de ce programme pour améliorer de façon importante les compétences des jeunes en lecture?
D’abord que le soutien bénévole d’ainés, modèles de lecteurs, ne peut qu’accroitre l’atteinte des objectifs pour développer des compétences en lecture. Pour l’enfant, constater qu’un adulte puisse aimer lire tout au long de sa vie et qu'il vienne à sa rencontre pour lui lire des histoires lui fait voir toute l’importance et le plaisir que peuvent procurer les livres et cela ne peut qu’être un facteur déterminant de sa motivation pour y consacrer les efforts nécessaires.
Un second point à remarquer est que les bénévoles-lecteurs interviennent en complémentarité directe avec le travail des éducatrices et des éducateurs. Ils ont la chance de rencontrer de tout petits groupes d'élèves à la fois et surtout, ils n'ont qu'un seul objectif en tête : celui du plaisir de lecture et de la découverte de la richesse de la littérature jeunesse.
En dernier lieu, il faut considérer l’aspect intergénérationnel de ces rencontres. Le jeune enfant apprend que les personnes plus âgées peuvent être actives et fort intéressantes. Les rencontres avec les enfants autour des livres permettent des moments d’échanges d’une grande richesse; un véritable patrimoine humain qu’on leur permet de découvrir. Et Lire et faire lire apporte un bonheur exceptionnel aux lecteurs bénévoles : celui de poursuivre leur contribution à l'édification d'une société meilleure pour l'avenir des enfants.
Comment mieux terminer cette communication qu’en laissant la parole à une de nos bénévoles-lectrices :
« [...] lorsque je referme chacun des livres, je vois dans les yeux des enfants briller des étoiles, alors il n’y a pas de doute : lieu de départ et d’arrivée, de commencement et de fin, comme la vie, les livres ouvrent la porte de tous les possibles. »
Voilà l’essence même de Lire et faire lire, voilà pourquoi ce mouvement existe et se développe constamment depuis plus de 20 ans. Faire briller des étoiles dans les yeux des enfants en leur donnant accès aux livres, voilà l’ingrédient de base pour créer une véritable nation de lecteurs.
Par Michel Clément, président de Lire et faire lire Québec, http://www.lireetfairelire.qc.ca/
Chronique publiée le 18 novembre 2019