Des petits Chaperons rouges : esquisse de pistes didactiques
Pour gouter aux détournements, travestissements, réécritures, parodies nombreuses du Petit Chaperon rouge, il faut cheminer jusqu’aux origines de ce conte que chacun.e croit connaitre.
En effet, les versions plus ou moins subversives, souvent humoristiques qui, néanmoins, rendent hommage aux contes de référence, pullulent dans la littérature de jeunesse contemporaine. Le Petit Chaperon rouge est généralement associé à Charles Perrault et aux frères Grimm. Cependant, bien avant que Perrault ne publie sa version écrite du Petit Chaperon rouge, un conte d’avertissement pour les enfants dans Les contes de ma mère l’Oye (1697), le conte a donné lieu, depuis le Moyen-âge, à une multitude de versions orales dont la trame est sans cesse transformée. Sa transmission, souvent sans support écrit, a engendré une malléabilité certaine : le conte est un genre transformable par essence (Lavignette-Ammoun, 2007).
La version nivernaise
Dans la tradition des folkloristes du 19e siècle, Delarue (1957) a recensé près de trente-cinq versions de cette histoire. L’une des plus connue est la version nivernaise, recueillie par Milliem vers 1870. Ce conte, Conte de la Mère-grand, s’adresse aux adultes ; le personnage principal en est la grand-mère et il s’agit d’un récit initiatique entre trois générations de femmes. Les thèmes sont crus : un repas cannibale (sur proposition du «bzou», la fillette mange sa Mère-grand en ragout et boit son sang) ; un effeuillage de tous ses habits avant de se coucher avec le loup et des détails scatologiques pour échapper au monstre. Dans cette version, la fillette, maligne, échappe au loup grâce à une ruse.
La version de Perrault
Dans cette courte version écrite, pleine de formulettes – déjà surannées de son temps – et dont la trame narrative est très simple, Perrault supprime les éléments anthropophages et scabreux, mais conserve les éléments «sexuels». Le loup inspire à la fois attirance et répulsion au petit Chaperon rouge. La mère n’avertit pas sa fille du danger. Le petit Chaperon rouge finit dans le lit et dans le ventre du loup … et le conte finit par une morale : « … [les] jeunes filles, belles, bien faites, et gentilles, font très mal d’écouter toutes sortes de gens … »
Dans Une faim de loup, Garat (2004) considère que « Le petit Chaperon rouge de Perrault […] est une proposition de lecture au même titre que les plus grands textes littéraires. [… Il] est notre bien commun, notre patrimoine intériorisé, collectif et absolument privé (pp 20-21) ».
La version des frères Grimm
Les frères Grimm, philologues allemands, publient en 1812 une version du petit Chaperon rouge qui relève d’une conception bourgeoise de l’éducation et qui est destinée aux enfants et à leur famille (Kinder und Hausmärchen). La mère avertit son enfant du danger, elle pose un interdit et c’est la fillette qui énonce la morale de l’histoire : Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour aller me promener dans la forêt, quand ma maman me l’aura interdit. La désobéissance de la fillette est punie : elle est mangée par le loup, mais il y a rédemption : le chasseur – image paternelle ? – sauve le petit Chaperon rouge et sa grand-mère ; le méchant loup meurt. Il s’agit d’une version «soft» de ce célèbre conte, version préférée de Bettelheim (1976) qui estime que celle-ci rassure les enfants car les adultes préviennent des dangers et que s’il y a certes punition, il y a également réparation.
Esquisses de pistes didactiques
Gouter aux détournements et aux parodies du Petit Chaperon rouge implique la lecture d’une des versions moralistes du conte. C’est un truisme !
Un choix subjectif de quelques réécritures par l’auteure de cette chronique, un choix féministe assumé et, pour chacune de ces réécritures, des esquisses de pistes didactiques pour des élèves de 4 à … ans. Il n’y a pas d’âge pour apprécier les détournements de ce conte archiconnu. Les premières propositions conviendront aux élèves les plus jeunes, les suivantes aux élèves plus âgés.
M. Leray (2009), Un petit chaperon rouge. Paris : Actes Sud Junior. ©
Un petit chaperon rouge qui fait preuve d’un incroyable sang-froid et ne s’en laisse pas conter !
Le graphisme – crayon noir pour le loup et crayon rouge pour la fillette invite à travailler sur les couleurs liées aux personnages et au texte.
- Faire imaginer la suite du célèbre dialogue entre le loup et le petit chaperon rouge … C’est pour mieux te manger … et alors ? Pour ensuite lire aux élèves celle de Leray et en gouter l’ironie.
- Travailler sur le déterminant du titre : pourquoi Un et pas Le petit chaperon rouge ?
M. Von Zeveren (2007), Et pourquoi ? Paris : L’école des loisirs. ©
Un petit chaperon rouge qui, comme les enfants de 3-4 ans, assaille sans relâche de ses « et pourquoi ? » un malheureux loup qui veut la croquer.
- Partir d’une question : comment la fillette de ce conte se sort-elle d’une très mauvaise situation ?
- Ou encore, mettre la focale sur les bulles qui explicitent les pensées et le discours du loup.
M. Sellier & C. Louis (2010), Le Petit chaperon chinois. Arles : Philippe Picquier. ©
Très long leporello réalisé selon les techniques de découpage papier et des ombres chinoises qui reprend certains motifs de la version nivernaise du conte.
- Raconter le Petit Chaperon rouge dans l’une et/ou l’autre des versions d’origine et insister sur la chute du conte oral nivernais dont l’héroïne se montre rusée : la fillette se sauve des griffes du loup en prétextant un besoin pressant à faire dehors ; elle déjoue la méfiance du loup, qui lui a attaché un fil de laine à la cheville, en accrochant ce fil à un prunier ; ainsi elle se libère de sa fâcheuse situation. Les motifs du « pipi dehors » et du « prunier » sont repris par les auteures de Petit Chaperon rouge chinois.
- Comparer les fins diverses des versions d’origine et du Petit Chaperon rouge chinois ; débattre de celle que les élèves préfèrent en leur demandant de justifier leur choix.
- Réfléchir collectivement à ce que le Petit Chaperon rouge de Sellier et Louis a de chinois.
G. de Pennart (2004), Chapeau rond rouge. Paris : L’école des loisirs. ©
- Analyser le méli-mélo des titres Chaperon/Chapeau rond - Pennart a-t-il mal écouté quand il était petit ? -, les éléments modernes du conte, les comportements impertinents de Chapeau rond et la chute surprenante : c’est Chapeau rond rouge qui ouvre le ventre du loup pour tenter d’en ressortir la grand-mère et qui, prenant gout au couteau-bistouri, deviendra chirurgienne…
- A discuter dans un débat comparant la version de Perrault ou celle des Grimm à celle de Pennart.
P. Corentin (1996), Mademoiselle Sauve-qui-peut. Paris : L’école des loisirs. ©
Une fillette qui n’a rien de rouge sinon les cheveux, mène la vie dure à tous les animaux de la ferme, à sa grand-mère et au loup que cette dernière héberge …
- Trouver les indices que Corentin égrène subtilement dans son texte dans un grand clin d’œil au Petit Chaperon rouge : l’histoire de Corentin commence exactement par la phrase de Perrault : Il était une fois une petite fille, la plus jolie qu’on eût pu voir, sauf que l’auteur a remplacé «jolie» par «espiègle» ! Une mère excédée envoie sa fille chez sa mère-grand porter … une galette et un petit pot de beurre, … jusqu’au célèbre dialogue qui, chez Corentin, devient monologue. On trouve même dans cette histoire un ragout, clin d’œil à la version nivernaise.
- Caractériser les personnages : chez Perrault la pauvre enfant est jolie et naïve, les jeunes filles de la morale sont bien faites et gentilles alors que chez Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut est effrontée, taquine, chipie, infatigable, espiègle, horripilante, farceuse, maligne, courageuse, drôle et indépendante.
Y. Pommaux (1993), John Chatterton détective. Paris : L’école des loisirs. ©
BD et roman noir, un détective sur les traces d’une fille en rouge disparue sur le chemin de la maison de sa grand-mère…
- Rechercher les indices … qui mènent les élèves au repérage de l’intertexte.
Rascal & C. K. Dubois (1994), Petit lapin rouge. Paris : L’école des loisirs. ©
Une parodie du Petit Chaperon Rouge qui raconte la rencontre du Petit Lapin Rouge avec le premier et leur pacte pour se protéger des loups et des chasseurs.
- Identifier la parodie en découvrant les indices que l’auteur a parsemés dans le texte.
- Ce texte proliférant dont Rascal a laissé la fin ouverte sur les mots du Petit Chaperon Rouge : J’ai une faim de loup ! se prête bien à un travail avec la technique du dévoilement progressif décrite par Tauveron (2003) dans Lire la littérature à l’école (pp 103-108).
J. Claverie (2009), Le Petit Chaperon rouge. Namur : Mijade. ©
Un chaperon rouge des villes … dont la mère exerce une profession et se montre courageuse pour retrouver sa fille. La modernisation du conte amène son lot d’anachronismes : le point de vue est résolument écologique, le monde sylvestre du conte se transforme en monde urbain – une forêt d’automobiles à la casse chez Wolf –, … malgré la formulette atemporelle du début … Il était une fois !
Un narrateur très présent dans cette réécriture : à vrai dire, il restait un boqueteau d’arbres ; le Petit Chaperon rouge, une vieille histoire presque oubliée ; je vous laisse imaginer le bonheur des retrouvailles ; je renonce à dessiner la scène un peu dégoulinante ;…
Lire intégralement l’album, puis…
- Repérer l’intertextualité
- Identifier les éléments de transposition du monde du conte dans le monde moderne
- Analyser le rôle et les activités de la mère du Petit Chaperon rouge et de sa grand-mère dans les contes traditionnels et dans la réécriture de Claverie
- Repérer les incursions du narrateur
- Observer le nom du loup casseur (Wolf)
- Débattre sur le genre de film (films noirs) appréciés par la grand-mère
- Travailler sur les couleurs des dessins
F. Colin, Z. Zonk & C. Perrault (2015), Les contes de fées défaits. Paris : Playbac. ©
En parallèle, une version très proche de celle de Perrault et une version décalée, orale et vraiment très drôle.
Le Petit Chaperon rouge a une bonne opinion d’elle-même, elle fréquente néanmoins un psychanalyste – la Psychanalyse des contes de fées de Bettelheim trône dans son cabinet ! –, se débrouille, doute des promesses du loup ; elle est maligne, amoureuse, elle emploie un smartphone, a de l’humour, n’a pas envie de faire la bise à sa grand-mère et s’ennuie beaucoup au jeu du T’as de grands yeux mère-grand ; c’est pour mieux te voir mon enfant ,….
Le loup n’est pas trop sûr de lui, fait des jeux de mots stupides, s’autocritique, se culpabilise, …
- Caractériser le Petit Chaperon rouge et le loup chez Perrault et chez Colin & Zonk ; comparer.
- Mais surtout, théâtraliser cette version pour les classes parallèles, la soirée des parents, … Un narrateur ou une narratrice pour la version de Perrault et une fillette tout de rouge vêtue, un loup, un postier, un psychanalyste, deux bucherons pour celle de Colin & Zonk.
Trois réécritures pour les élèves du secondaire … ou pour les adultes
P. Joiret & X. Bruyère (1991), Mina je t’aime. Paris : L’école des loisirs. ©
Mina je t’aime : un roman d’amour, une histoire à l’eau de rose ? Non, plutôt un texte qui leurre le lecteur, qui le fourvoie (Tauveron, 2003). Il y a du loup dans cette Mina qui s’habille tout de rouge … Cet album au format à l’italienne est somptueusement illustré des couleurs fauves chères au courant pictural éponyme.
Lire l’album intégralement, puis…
- Repérer l’intertextualité avec des contes connus – le Petit Chaperon rouge et les Trois petits Cochons.
- Etablir les champs lexicaux du rouge – Carmina, joues carminées, crinière fauve, cheveux roux, t-shirt rouge, collant rouge, sweat rouge, sang, vermillon sur les ongles, géraniums, … , du loup ou du fauve – bondir, souffle, petits crocs pointus, crinière fauve, étirer ses longs membres, à pas de loup, engloutir, nom de famille: Wolf,… et de la «séductrice» – mini-robe, ongles vernis, lunettes de soleil en forme de cœur, petit derrière valseur, ….
- Caractériser les trois amoureux qui harcèlent Mina. Débattre de la fin de l’album : Mina et sa grand-mère seraient-elles des « croqueuses » d’hommes ?
C. Perrault & S. Moon (1983), Le Petit Chaperon Rouge. Paris : Grasset jeunesse. ©
Une interprétation crue racontée en photos noir/blanc par la grande photographe de mode Sarah Moon qui met en scène une fillette dans la nuit suivie par une voiture. La dernière image, un lit défait, suggère une fin que Perrault (1697) n’aurait pas reniée :
[…]
Je dis le loup, car tous les loups ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui, privés, complaisants et doux
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles.
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
De tous les loups sont les plus dangereux.
M. Mallié (2009), Le Petit Chaperon Rouge. Noville-sur-Mehaigne : Esperluète éditions. ©
Le Petit Chaperon Rouge de Myriam Mallié est une histoire de femmes. Une histoire où les filles […] marchent là où la vie les invite à marcher, rencontrent qui elles doivent rencontrer, se mesurent à qui elles doivent se mesurer avant de rejoindre la communauté des femmes – et des hommes bien entendu – et d’y prendre leur place. (Mallié, 2009, 4e de couverture).
A déguster en rapprochant cette réécriture de la version nivernaise du conte dont elle s’inspire librement et en goutant les illustrations qui représentent … un lit.
Bibliographie
Bettelheim, B. (1976). Psychanalyse des contes de fées. Paris : Laffont.
Garat, A.-M. (2004). Une faim de loup. Lecture du petit chaperon rouge. Arles : Actes Sud.
Grimm, J. & W. (1812). Contes de l’enfance et du foyer. (1987). Contes merveilleux. Paris : Le livre de poche.
Lavignette-Ammoun, C. (2007). Des petits chaperons rouges de toutes les couleurs. Mémoire de Master. Nante : Université du Maine. http://www.cndp.fr/crdp-reims/fileadmin/documents/cddp10/Chaperon_rouge/chaperon_rouge_entier_-_C._Lavignette.pdf (bibliographie très complète dans ce mémoire disponible sur internet)
Martin, S. (1997). Les contes à l’école. Le(s) petit(s) chaperon(s) rouge(s). Paris : Bertrand-Lacoste.
Perrault, C. (1697) Histoires ou Contes du temps passé avec des Moralités, ou Contes de ma mère l’Oye. (1990). Contes. Paris : Le livre de poche.
Tauveron, C. (2003). Lire la littérature à l’école. Paris : Hatier.
Par Dominique Bétrix, Professeure-formatrice en didactique du français, HEP Vaud, dominique.betrix@hepl.ch
Chronique publiée le 21.12.2016