Bibliothèque Jeunesse © Ville de Lausanne

Voie Livres est allé à la rencontre de bibliothécaires : fines connaisseuses des ouvrages jeunesse, elles sont une ressource précieuse pour le corps enseignant et pour les élèves. Elles choisissent, sélectionnent, garnissent les rayons de nos bibliothèques de quartier, dans lesquelles nous aimons perdre momentanément la notion du temps. Ce sont avec elles, aussi, que l’on parle du dernier roman emprunté qu’on a ou non apprécié. Enfin, elles sont à l’écoute de nos envies et, naviguant entre liberté et contraintes, parviennent à ce savant équilibre de proposer des ouvrages à tou·te·s les lecteur·rice·s.

Notre première interlocutrice, Aline Dewarrat, travaille à la bibliothèque municipale de Lutry, qui abrite deux étages de livres, de magazines et de revues destinées au jeune lectorat. Vous pourrez rencontrer nos deuxièmes interlocutrices, Marie-Jeanne Pahud et Isabelle Favez, à la bibliothèque jeunesse de la ville de Lausanne, tout entière dédiée aux enfants. L’entretien qui suit aborde différents aspects de leur travail et met en lumière leurs compétences et leur expertise relativement aux ouvrages de littérature de jeunesse.

Entretien avec les bibliothécaires

Sonya Florey, pour www.voielivres.ch : En tant que bibliothécaire, comment procèdes-tu pour choisir les livres de littérature de jeunesse mis à la disposition des lecteurs et des lectrices ?

Aline Dewarrat : Pour les livres de littérature jeunesse, surtout pour les albums, je fonctionne beaucoup au coup de cœur, notamment pour les illustrations. Il y aussi quelques auteurs que je suis et dont j’achète les nouveautés dès la parution. Pour les documentaires, c’est souvent en fonction de l’actualité ou des thèmes demandés par les lecteurs. Pour les romans, c’est en général après la lecture du résumé que je me décide. Il y a aussi quelques auteurs dont les romans sont attendus avec impatience !

Marie-Jeanne Pahud, Isabelle Favez : Cela dépendra des genres et de l’âge du destinataire. De manière générale en bibliothèque de lecture publique, nous axons nos achats sur la littérature loisirs (versus la lecture scolaire obligatoire). Pour les documentaires, l’illustration et la vulgarisation des sujets est très important., Pour la fiction, il est évident que nous suivons les « tendances » du moment mais nous avons une attention particulière à proposer également des titres plus confidentiels, d’auteurs reconnus dans des éditions pointues et sélectives. Nous considérons qu’il n’y a pas de mauvaises lectures. Par exemple nous achetons régulièrement des séries issues de programmes télévisuels (par ex : Miraculous). Il est important que même les petits lecteurs puissent s’y retrouver.

SF : À quelle fréquence achètes-tu de nouveaux livres pour garnir les rayons de la bibliothèque ?

AD : J’ai toujours un panier en cours sur le site d’une librairie en ligne. Quand il y a une vingtaine de titres ou des nouveautés très attendues, la commande est envoyée. Des nouveautés sont mises en circulation très régulièrement. La bibliothèque est également abonnée à quelques revues : « J’aime lire » « Les belles histoires » « Je bouquine », « La petite salamandre ».  

MJP, IF : Les achats chez nous se font chaque semaine et nous couvrons toutes les parutions jeunesse via les filtres Electre (base de données des parutions francophones). Nous avons chacune un domaine d’acquisition (documentaires, albums, romans petits, romans ados, langues étrangères, BD, DVD).

Bibliothèque Jeunesse © Ville de Lausanne

SF : Comment le jeune public choisit-il ses livres, selon tes observations ? As-tu régulièrement des demandes de la part de lecteurs ou de lectrices qui ont besoin d’aide pour faire un choix parmi les ouvrages ?

AD : J’ai constaté que lorsque des classes viennent, il suffit qu’un ou deux élèves choisissent des livres sur un domaine pour que les autres aient les mêmes envies ! Des lecteurs ou des lectrices nous demandent régulièrement des livres sur les thèmes pour lesquels ils doivent préparer un exposé. Pour certaines thématiques telles que la naissance ou la mort, les demandes viennent surtout des parents. 

MJP, IF : Jusqu’à 11 ans le public est généralement accompagné et ce sont plutôt les parents qui demandent conseil. Après, les adolescents ont tendance à poser peu de questions. C’est pourquoi nous mettons en place un classement par genre et par thématique pour la fiction (humour, amour, amitié, sociologie, horreur, policier, etc…) afin que ceux qui n’osent pas demander puissent s’y retrouver plus facilement selon leurs goûts.

SF : Quelle est la part de littérature de jeunesse dans le catalogue de la bibliothèque ? Quelle est la part de récits, de romans, d’albums ou de documentaires dans les ouvrages de littérature de jeunesse ?

AD : La part de la littérature jeunesse représente environ le 50% du catalogue de la bibliothèque. Nous n’avons quasiment pas de récits. Les romans, albums et documentaires sont représentés quasiment à part égale dans les rayons de la bibliothèque pour les 0-10 ans et les plus grands, les mangas (mais parce que nous avons des grandes séries comme Naruto) représentent la grande partie du fonds et des livres empruntés dans cette catégorie d’âge. 

SF : Quels sont les ouvrages qui ont le plus de succès en ce moment chez les jeunes lecteurs et lectrices ?

AD : Les « Tom Tom et Nana », les « Max et Lili », les « Barbapapa » occupent les premières places du classement devant un de mes coups de cœur : « Un chat en hiver » de Feridum Oral chez Minedition. 

MJP, IF : Les BD (Mortelle Adèle) et notamment les mangas ont un grand succès (One piece).

SF : Observes-tu une évolution dans les choix des enfants il y a quelques années et aujourd’hui ?

AD : Je suis toujours surprise de voir que les « classiques » restent toujours autant prisés, mais je constate aussi que les enfants aiment de plus en plus les livres sortant des sentiers battus, comme les albums sans texte qui permettent aux enfants d’inventer l’histoire ou les livres très graphiques comme « Dans sa maison un grand cerf » de Didier Dedieu, un livre en noir et blanc. 

MJP, IF : Non pas vraiment. Exceptée la part des mangas qui a explosé.

Post sur une sélection de mangas © Facebook Lire à Lausanne

SF : Quels sont les liens que tu entretiens avec les enseignantes des établissements scolaires de la région ?

AD : Les relations sont très bonnes, des classes viennent tous les mois et d’autres de manière moins régulière. Nous organisons, si les enseignant·e·s, en font la demande, des petites animations lors des visites de classe. 

MJP, IF : Nous n’avons pas pour mission première d’accueillir les classes. Cependant nous accueillons beaucoup de groupes (classes, garderies, enseignement spécialisé, Apems). Nous avons des enseignant·e·s qui viennent chaque année et que nous connaissons depuis longtemps, d’autres moins.

SF : Quels sont les projets organisés à la bibliothèque pour faire vivre la littérature de jeunesse ?

AD : La bibliothèque participe toutes les années au Biblioweekend organisé au niveau national. Nous organisons également régulièrement des ateliers (marque-pages, mandalas, étiquettes cadeaux). Le but est de faire venir les enfants, mais également de leur montrer que les bibliothèques sont des lieux vivants, qui accueillent des activités autour du livre, mais pas uniquement centrées sur la lecture à proprement parler.

MJP, IF : Voici quelques exemples des projets que nous organisons : club de lecture, projet « Né pour Lire », lectures par les grands parents, lectures en langues étrangères, lectures par nos stagiaires, lectures hors les murs et beaucoup d’animations de partenaires externes en lien avec nos collections : contes, spectacles, atelier philo…

SF : Quel serait le projet de tes rêves, que tu souhaiterais mettre en place autour de la littérature de jeunesse, dans le cadre de la bibliothèque ?

AD : J’aimerais mettre en place un atelier d’écriture, sur plusieurs semaines, pour les plus grands.

MJP, IF : Pas un projet en particulier, mais faire plus d’activités « hors les murs » pour faire vivre les livres en dehors de la bibliothèque, auprès de publics moins familiers avec ce média. Mais cela demande beaucoup de ressources en personnel.

Découverte du théâtre kamishibai, ateliers créatifs et coloriage mandala proposés par la bibliothèque municipale de Lutry @ Instagram @biblio_lutry

SF : Qu’est-ce qui, pour toi, fait d’un livre un « bon » livre de littérature de jeunesse ?

AD : Un livre qui permet de s’évader, de découvrir de nouveaux horizons, avec une bonne intrigue. Pour les albums, un livre avec de belles illustrations. J’avoue que je suis très sensible aux illustrations pour les albums. 

MJP, IF : Comme dit précédemment, nous ne jugeons ni ne hiérarchisons pas les livres, mais nous apprécions les illustrations très poétiques dans les albums. Ou encore les livres où les illustrations sont en adéquation avec le texte, qui permettent une double lecture entre les parents et les enfants.

SF : Quels sont tes coups de cœur récents, en littérature de jeunesse (pour différents âges) ? 

AD : La soupe Lepron de Giovanna Zoboli et Mariachiara di Giorgio aux éditions Fourmis Rouges. Un album magnifiquement illustré qui raconte comment un lapin cuisine la meilleure soupe au monde, la fabrique en quantité industrielle et se rend compte finalement que ce n’était pas son but dans la vie. Cet album convient à partir de 4 ans et traite de la mondialisation et du capitalisme. 

Si je dois te trahir de Ruta Sepetys : un roman se passant en Roumanie sous l’ère Ceaucescu. Un lycéen doit choisir : perdre les gens qu’il aime ou devenir un espion pour la police secrète. Il devient informateur, mais décide de tromper le terrible régime à ses risques et périls. Une plongée passionnante dans la vie très dure des habitants de ce pays à cette époque. L’auteure a fait un énorme travail de documentation pour l’écriture de ce livre. Ce livre convient aux ados à partir de 13 ans. 

Mémoires de la forêt, tome 1: les souvenirs de Ferdinand Taupe de Mickaël Brun-Arnaud, illustré par Sanoe. Au cœur d’une magnifique forêt, un libraire permet à chaque animal de la forêt de déposer le livre qu’il a écrit avec l’espoir que quelqu’un l’achète. Ferdinand Taupe a justement écrit un livre et, comme il perd la mémoire, il aimerait le récupérer. Mais celui-ci vient d’être vendu. Le libraire et lui-même décident de partir à l’aventure pour retrouver le livre et ainsi reconstituer ses souvenirs. Un roman tout en tendresse traitant de la perte de mémoire pour les enfants à partir de 9 ans. 

MJP, IF : Chez les autrices, Emilie Vast, Anne Crausaz et les documentaires d’Anna Denitskaya. Pour les documentaires, la collection « Mes p’tits docs » chez Milan. Pour les romans ados Clémentine Beauvais et Marion Brunet. Pour les plus jeunes lecteur·rice·s, Benoît Charlat et Edouard Manceau. Enfin les albums d’Emile Jadoul et de Tomoko Ohmura.

Un grand merci à nos trois bibliothécaires !

Chronique rédigée par Sonya Florey, professeure ordinaire HEP (sonya.florey@hepl.ch), avec l’aide de Marie-Jeanne Pahud, Isabelle Favez et Aline Dewarrat.