On peut tous et toutes citer un titre de conte qu’on a aimé, ou non, durant notre enfance. Je me souviens d’avoir lu, seule, (je ne sais plus à quel âge), La petite fille aux allumettes dans une version illustrée. Je n’ai pas compris la fin du récit. Le texte est pourtant explicite.
Le lendemain matin, cependant, les passants trouvèrent dans l'encoignure le corps de la petite ; ses joues étaient rouges, elle semblait sourire ; elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
- Quelle sottise ! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ? D'autres versèrent des larmes sur l'enfant ; c'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère la plus douce félicité.
H. C. Andersen (1845). La petite fille aux allumettes
J’avais dissocié l’image de la petite fille qui rejoignait sa grand-mère au paradis et celles des passants qui découvraient l’enfant morte de froid, le lendemain matin, sans parvenir à lier les deux évènements. Était-ce peut-être mieux que je ne comprenne pas ? Quand j’y repense, c’est potentiellement perturbant, pour un·e jeune lecteur·rice de comprendre que d’autres enfants peuvent mourir de froid. Qu’est-ce que cela signifie, pour un·e élève du cycle primaire ? Quelle représentation il·elle peut se faire du récit ?
© www.pexels.com
Les contes dans les nouveaux moyens d’enseignement romands [NMER] de français : bâtir des références culturelles dès le cycle 1
Les contes occupent une place particulière dans nos cultures et dans l’imaginaire collectif : venus de traditions et de transmissions orales, ils font aujourd’hui partie intégrante de notre patrimoine littéraire. D’ailleurs, les NMER de français abordent le conte merveilleux à deux reprises au moins au cours de la scolarité obligatoire.
Dans la série orange en 3-4P, le parcours “conte merveilleux” convoque Les Musiciens de Brême, Jeannot et Margot, Le Petit Chaperon rouge ainsi que Le Chat botté pour comprendre un conte à partir des personnages et le réécrire afin de le lire à d’autres.
Le conte merveilleux traité dans la série verte en 5-6P, quant à lui, vise prioritairement le travail sur l’oral, en se centrant sur Hänsel et Gretel, afin de comprendre et de produire un conte merveilleux lu de façon expressive. Ce dernier parcours élargit également les références à des textes appartenant à notre bibliothèque collective, en travaillant sur les stéréotypes dans des contes classiques tels que Jack et le haricot magique, Les sept corbeaux ou Le joueur de flûte de Hamelin.
© www.pexels.com
Un genre qui a inspiré des chroniques publiées dans Voie Livres
Voie Livres a déjà proposé des chroniques autour des contes : c’est l’occasion de les mettre à l’honneur et de les redécouvrir avec délectation.
- Une chronique qui présente différentes réécritures du conte Le petit chaperon rouge, en proposant des pistes didactiques.
- Une réactualisation du texte Les trois petits cochons par Noëlle Revaz et
Haydé. - Une analyse des réécritures de contes et des illustrations graphiques de Rascal, avec une focale sur Le petit chaperon rouge et une autre focale sur Les trois petits cochons.
- Une chronique qui réhabilite Madame d’Aulnoy, autrice phare du conte merveilleux au 17e siècle, que l’histoire littéraire a oubliée.
- Un texte qui offre une analyse très fine du conte Hänsel et Gretel, en présentant là également des réécritures qui raviront les élèves (et leurs enseignant·e·s)
Le support à des réflexions littéraires, sociétales et éducatives
Lire des contes à l’école semble une évidence, lorsqu’on réalise l’importance du récit en termes d’apprentissage continué de la lecture, de construction et d’ouverture des imaginaires, de réception et d’émotions lectorales, de construction de valeurs et d’un bagage culturel communs. Mais lorsqu’on s’y penche, un certain nombre d’interrogations émergent : qui sont les auteur·rices des contes ? Quelles sont les modifications engagées par les réécritures ? Comment les contes peuvent (aussi) se lire comme un témoignage sur les modes de vie d’une époque ? Pourquoi certains contes ont-ils une morale et d’autres non ? Ce sont ces questions-là et d’autres encore dont traitent ces deux émissions de radio (cliquez sur les liens hypertextes pour accéder aux podcasts en ligne):
Dans ce podcast, la journaliste Delphine Saltel échange avec une professeure de littérature, Jennifer Tamas, spécialiste des XVIIe et des XVIIIe siècles, notamment autour de « La Belle et la bête » (1740) de Madame de Villeneuve et de « Finette Cendron » (1698) de Madame d’Aulnoy. « Elle s’intéresse aux questions de ‘cancel culture’ parce qu’elle enseigne aux États-Unis, dans une université du New Jersey, face à des étudiants qui souvent se méfient des valeurs que véhicule notre passé littéraire. Elle milite pour une relecture attentive de cet héritage, et nous incite à décaper le sens des textes encroûtés sous le vernis des interprétations successives. Exemples à l’appui, elle démontre magistralement que, derrière l’histoire littéraire officielle et les blockbusters de Walt Disney, se cache une foule d'héroïnes et d’autrices oubliées, une sorte de “matrimoine” qu’il est urgent de redécouvrir. »
Dans ce débat, Louise Tourret s'entretient avec (la même) Jennifer Tamas, professeure à Rutgers University (USA), spécialiste de la société d’Ancien Régime, qui s’intéresse aux questions d'indicible, de refus et de consentement sexuel, et avec Pierre-Emmanuel Moog, chercheur indépendant en anthropologie narrative, auteur d’articles sur les récits merveilleux et d’un programme de recherches à la Bibliothèque nationale de France sur l’illustration des contes de Charles Perrault. Voici deux extraits pour donner envie d’en savoir plus :
« Il y a chez Charles Perrault finalement des textes très laconiques, avec
plein d'ambiguïtés, et avec un vocabulaire très simple, mais qui sollicite le
lecteur (...) Mais il y a en plus du style quelque chose qu'il reprend de la
tradition orale : il crée des images qui sont tellement prégnantes, qui
deviennent à la fois visuelles et énigmatiques. "La Barbe bleue", pourquoi
est-elle bleue ? Nous n'avons pas d'explication. Il y a la création de ces
images visuelles, qui tout au long du conte, nous frappent. On le lit, on le
voit et le mystère reste ». (Pierre-Emmanuel Moog)
« La beauté des contes tient au fait qu'on peut en avoir des lectures
différentes en fonction des âges de la vie. Ils posent la question du coeur
humain, de la mort, de l'abandon, ils répondent intrinsèquement à toutes
ces questions profondes qui nous traversent (...) Il y a cette idée de quête
et d'initiation qui fait appel à l'imaginaire des enfants, et elle est
fondamentale, car elle motive leur avancée dans les différents âges de la
vie ». (Jennifer Tamas)
Contes cités
- Le petit chaperon rouge
- La belle et la bête
- Finette Cendron
- Hänsel et Gretel
- Les trois petits cochons
Chronique rédigée par Sonya Florey (sonya.florey@hepl.ch), professeure ordinaire en didactique du français, HEP Vaud.