Il y a tout d’abord un contexte, une sensation. Lire un ouvrage de littérature jeunesse, c’est une chose ; le partager avec son enfant, c’en est une autre. Ensuite, il y a les mots, et ici les mots d’une liste, des mots qui vous donnent envie de vivre, pleinement, entièrement, sans arrière-pensée. Finalement, il y a cette relation, ces relations fortes et précieuses que l’on tisse avec les siens, jour après jour, quelle que soit la distance qui nous sépare d’eux.

Une invitation à la vie

Ma fille a été, comme beaucoup d’enfants, submergée de cadeaux pour son anniversaire. Certains ont fait long feu, comme cette poupée d’une laideur absolue qu’il faut peindre soi-même (!). Et puis des livres. Pas une quantité absurde de livres, mais suffisamment pour satisfaire son amour naissant de la lecture quelques jours au moins. Dans l’amas d’ouvrages reçus, il m’a fallu quelques semaines pour dénicher l’album qui allait remuer en ce vieux lecteur des sentiments qu’il aurait préféré garder enfouis.

L’album, qui s’intitule « La liste – pour garder son cœur d’enfant même quand on sera grands », a été écrit par Mylen Vigneault et illustré par Maud Roegiers. Sur la couverture, une jeune fille aux yeux bleus regarde avec intensité un escargot posé sur sa main et semble vouloir le toucher.

© Alice Jeunesse, Mylen Vigneault & Maud Roegiers

Ce que la couverture ne laisse pas imaginer, c’est que La liste est avant tout un récit de transmission, entre un grand-père et sa petite-fille, Mia. Un grand-père à la fois bienveillant et malicieux, qui raconte des histoires et fabrique de drôles d’animaux en bois. Un jour, il donne à Mia une liste de choses à faire avant d’être trop grande : une invitation à la vie.


       © Alice Jeunesse, Mylen Vigneault & Maud Roegiers

Mia est invitée à grimper sur l’arbre le plus haut qu’elle voit, à offrir un cadeau à un inconnu, à oser être elle-même, à danser sous la pluie, entre (beaucoup) d’autres. Cette invitation rappelle à l’adulte qui lit à son enfant que la vie est courte, qu’elle mérite d’être vécue pleinement. Elle le renvoie à sa propre enfance et à ces moments où le temps s’étend presque à l’infini lors d’une longue journée d’été passée à gambader dans les champs, à errer dans les rues d’une ville, à jouer, à vivre. Pour l’enfant qui écoute, c’est une exhortation à la créativité, à la passion, à l’altruisme, à l’évasion. Il est emmené dans un monde de possibles, de dépassement de soi, de découvertes et d’aventures. C’est surtout une invitation à dire oui au monde qui l’entoure, à dire oui aux détails de la vie qu’on oublie, à dire oui à l’autre dans ce qu’il a de différent.

Même si l’idée de la liste implique une somme d’actions à réaliser, l’album insiste également beaucoup sur la qualité de cette liste : tout n’est pas rentable, mais tout est profitable. L’illustration de Mia en train de regarder un escargot ou l’observation d’une chenille devenir papillon en sont les illustrations mêmes : économiquement, cela ne sert à rien, et pourtant l’enrichissement qu’on en tire est bien réel.

© Alice Jeunesse, Mylen Vigneault & Maud Roegiers

Si le motif des pois noirs sur le tissu jaune revient à chaque page, comme un marqueur récurrent d’une existence qui traverse le temps, indiquant que Mia grandit mais qu’au fond, elle est toujours la même petite fille, le grand-père réapparait aussi, à plusieurs reprises, scandant la vie de Mia lorsqu’elle l’emmène « se sentir jeune » sur un manège, lorsqu’elle le balade en chaise roulante.

Et puis, avec toute la douceur qu’on aurait pu attendre de cet album, on comprend que cette liste accompagnera également Mia dans le deuil, dans la perte, dans la douleur. La mort est évoquée avec une sensibilité admirable, tout en implicite, à partir des points de la liste. Je n’ai pas réussi à retenir cette larme qui avait commencé de perler au coin de mon œil.

Mais l’album continue, et la vie aussi ! Et si la fin est si émouvante, c’est aussi parce qu’on sent que le récit nous renvoie à nous-mêmes et à la finitude de nos existences : le lecteur ou la lectrice en sort remué·e, secoué·e par des vagues d’émotions et par l’envie, comme le grand-père, de dresser une liste, et comme Mia de l’accomplir.

Si je suis ressorti si bouleversé de la lecture de cet album, c’est sans doute aussi grâce aux illustrations de Maud Roegiers qui, avec douceur et délicatesse, de l’humour et une pointe d’ironie, viennent donner à cette liste des couleurs qui donnent envie de vivre.

La liste est véritablement un album qui parlera autant aux adultes qu’aux enfants, et comme mentionné sur la 4e de couverture, il s’agit d’« Un rappel pour les petits (et aussi pour les grands) que la vie est une belle aventure dont on peut profiter avec enthousiasme, chacun·e à sa façon. »

Quelques prolongements

Dans une perspective didactique, on pourra relier cet album à L1 15 et à l’établissement de liens avec son vécu : les élèves ont-ils déjà créé une liste de points à accomplir ? Ont-ils·elles envie d’en concevoir une ? Une séquence autour de la notion de rêves à réaliser ou de réalisation de soi est parfaitement en adéquation avec le récit.

Le projet de lecteur (L1 21) est une autre entrée possible dans le récit : de la même manière que l’élève se projette comme futur·e lecteur·rice en percevant de quelle manière la lecture lui sera utile ou bénéfique, de la même manière il·elle pourra réaliser à quel point il est essentiel d’endosser ce rôle d’humain·e qui s’apprête à entrer de manière active dans la vie et de s’accomplir pleinement.

© Alice Jeunesse, Mylen Vigneault & Maud Roegiers

On pourrait également aborder la question du deuil et de la manière de gérer ses émotions face aux événements douloureux qui surviennent dans la vie. Même si cette question est délicate à aborder en classe, elle est essentielle dans la construction de l’identité des enfants, qui sont ou seront confronté·e·s à cela.[1]

L’album permet aussi de travailler l’implicite (L1 21 : mise en relation des information explicites et implicites du texte) et d’observer en quoi l’image nous en dit parfois plus (et parfois moins) que le texte.

Terminons en disant que l’éditeur, Alice Jeunesse, propose, en complément à l’album, un petit carnet avec la liste de Mia et … de la place pour créer la sienne ! Alors, à vos crayons, et à vos rêves !

 

 

[1] Pour aller plus loin, la chronique Les mots pour le dire : Suggestion d’albums jeunesse pour aborder le deuil, parue en mars 2021, offre des ressources intéressantes pour les enseignant·e·s qui souhaiteraient aborder cette thématique.

 

 

Chronique publiée le 13 septembre 2022

Par Nicolas Monnier, chargé d’enseignement HEP Vaud, nicolas.monnier@hepl.ch