Pablo trouve un trésor et les enseignant.e.s aussi !
Dans Pablo trouve un trésor (Éditions les 400 coups ©, 2014), Andrée Poulin relate l’histoire de Pablo et de sa sœur Sofia, enfants chiffonniers dont le quotidien se résume à fouiller dans une décharge avoisinante pour y dénicher de quoi se nourrir et faire survivre la famille. Nous sommes ainsi plongés dans leur vie singulière – se réalisant dans les espaces du bidonville et de la décharge – avant la découverte inespérée, par le héros, d’un trésor qui élargit symboliquement les horizons d’une enfance volée.
Enrichi par les magnifiques illustrations d’Isabelle Malenfant, l’album jeunesse aborde de manière subtile la thématique de la pauvreté, sans jamais tomber dans le piège du misérabilisme. Au contraire, le récit de Poulin et les dessins de Malenfant nous mènent de bout en bout dans un univers dominé par la misère et l’injustice, mais débordant malgré tout d’espoir et d’innocence. Destiné aux enfants âgés de 7 ans ou plus, Pablo trouve un trésor se révèle être un bijou pour travailler la lecture – la compréhension de l’album, tout comme son appréciation – avec les élèves en fin de premier cycle.
Particularités esthétiques et narratives de l’album
Ce qui ressort d’emblée à la lecture de l’album, c’est l’expressivité du dessin qui, en complémentarité avec l’histoire, donne à voir l’univers de pauvreté dans lequel évoluent Pablo et sa sœur Sofia. Plus spécifiquement, c’est par l’usage dominant de fusain et de crayons graphite que l’impression de misère et surtout de saleté sont créées. Les illustrations gardent dans chacune des planches une dominance de tons noirs, gris et bruns, contrastant avec les rares apparitions de touches de couleur qui sont, elles, transmises par les médiums de l’aquarelle et de pastels. Ainsi, les dessins d’Isabelle Malenfant favorisent l’immersion et permettent à l’enfant lecteur de se construire une image mentale de l’histoire. Dans un univers froid parsemé de différentes nuances du fusain noir, l’apparition de la couleur peut être interprétée par l’enfant comme un moment significatif de l’histoire. A titre d’exemple, au moment clé où Pablo trouve une chaîne en or au milieu de la décharge, la planche contenant le plus de couleur apparaît.
La couleur se manifeste dans le dessin alors que les deux protagonistes, conscients de ce que la « trouvaille » de Pablo pourrait leur apporter, se laissent aller à rêver de différents objets symbolisant une enfance meilleure. En ce sens, la planche de droite projette en couleur ce que Pablo et Sofia imaginent, les yeux fermés, sur la planche de gauche : « un livre », « du poulet », « un chaudron neuf », « des gants », « un cornet de crème glacée », « un sac de bonbons au miel ».
L’expressivité du dessin et les choix esthétiques de Malenfant sont au service d’une histoire relativement simple mais dont le contexte (bidonville/décharge/travail des enfants) décrit et imagé ouvre la voie à une réflexion sur la pauvreté et encourage les enfants au décentrement et à l’empathie pour Pablo, Sofia et les enfants chiffonniers en général. La narration cadre (en gris) se fait au présent, avec des constructions phrastiques simples décrivant l’environnement, les actions et les émotions des personnages, tandis que les dialogues entre Pablo et sa soeur (en rouge) actualisent et rendent vivant le récit. L’une des particularités de l’album réside dans la projection des cinq sens, permettant ainsi à l’enfant lecteur de ressentir en même temps que les protagonistes. A titre d’exemple, la double planche qui suit l’apparition du personnage redouté par les enfants, le « Grand Sale » – figure symbolisant la peur et l’inconnu – convoque tous les sens pour créer une tension narrative et un effet d’immersion pour le lecteur, avant la découverte de la chaîne en or par Pablo.
La vue, l’odorat, le toucher, le goût et l’ouïe sont convoqués conjoitement sur ces planches pour immerger le lecteur dans l’histoire. Ainsi, le vocabulaire utilisé par Poulin donne les clés de lecture pour se mettre à la place de Pablo et Sofia. La vue de « déchets », des « larmes » de Sofia, de « mouches » qui s’attaquent à Pablo ; l’odeur de la « sueur », des « gaz qui s’échappent des déchets », d’un sac « à demi éventré » contenant « des épluchures de patates » ; le contact (toucher) entre la main d’une enfant et « un morceau de verre », le « coup de pied » dans un sac ; le goût suggéré par des déchets « qui piquent la gorge » ; sont autant d’éléments sensoriels permettant de se projeter dans l’univers de Pablo et Sofia. Les effets d’immersion de l’album semblent extrêmement riches et ouvrent de nombreuses possibilités aux enseignant.e.s.
Comment aborder l’album en classe ?
Andrée Poulin souligne elle-même l’intérêt pédagogique de son album, dans une série de ressources destinées aux enseignant.e.s. et accessibles directement depuis son site internet (http://www.andreepoulin.ca/fiches_pedagogiques/pedagopablotrouveuntresor.html). Elle y met en effet à disposition plusieurs fiches pédagogiques exploitables en classe, mettant en avant notamment des phases de lecture à mettre en place avec les élèves. Ces phases – avant, pendant et après la lecture – consistent à partir d’une discussion sur ce que l’élève peut déduire sur l’histoire en voyant la couverture, pour aller vers une phase de travail sur le contenu et le vocabulaire, aboutissant enfin sur des pistes d’élargissement et de discussions possibles avec les élèves. Ainsi, ce qui est favorisé dans ces différentes étapes est à la fois la compréhension des élèves et leur ressenti à différents moments-phares de la lecture. Cette méthode, nommée « lecture interactive », permet ainsi de s’assurer que les élèves comprennent l’histoire, tout en encourageant en parallèle leurs interprétations et l’expression de leurs émotions au fil de l’album, par le biais du dialogue.
En plus de ces phases d’interaction avec les élèves, Andrée Poulin suggère quatre volets pédagogiques permettant d’aborder l’album jeunesse en classe : écriture, arts plastiques, communication orale et éthique. Chacune des dimensions traite différents objectifs présents dans le PER, allant de la compréhension écrite à la production orale ou écrite, mais favorisant également le développement d’une conscience éthique par le décentrement et notamment le traitement de thématiques d’actualité telles que le travail des enfants, la pauvreté ou le recyclage.
Dans le même ordre d’idées, Claude Burdet, Professeur-formateur à la HEP-Vaud, propose d’explorer les richesses de cet album par le biais d’une lecture dialoguée durant laquelle l’enseignant.e.s explicite à voix haute les différentes phases de lecture en les modélisant. Pour chaque moment-phare de la lecture, quatre questions explicites sont posées aux élèves afin de les guider vers le développement de diverses stratégies de lecture (ci-dessous : en italique) : « C’est quoi (définition de la stratégie) ? » ; « Pour quoi ? » ; « Comment ? » ; « Quand ? ». Dans un premier temps, l’enseignant.e.s amène les élèves à prédire la suite des événements à partir d’éléments présents sur la couverture, puis sur les planches, en faisant notamment des liens avec leurs propres connaissances du monde. Les élèves peuvent alors se créer une image mentale du récit pour ensuite confronter leurs prédictions en les confirmant ou infirmant. Dans la même lignée, il s’agit d’explorer avec eux le ressenti face au récit. Ainsi, tout au long de la lecture dialoguée avec l’enseignant.e, l’élève est amené à verbaliser ces émotions et à comprendre et développer de l'empathie, soit à reconnaître et à comprendre les sentiments et les émotions d’autrui. Plus spécifiquement, à partir du récit, l’enseignant.e peut développer la capacité de l’élève à se mettre à la place des protagonistes. Enfin, ils sont encouragés à émettre un jugement critique lors de la lecture et à le justifier à l’aide d’arguments. Tout ceci se fait par la lecture dialoguée, et plus spécifiquement en guidant les élèves dans l’usage de ces stratégies de compréhension et d’interprétation, qu’ils pourront par la suite réinvestir dans d’autres lectures.
A titre d‘exemple, par le biais de la planche suivante, représentant Pablo et Sofia au milieu de la décharge, on peut explorer la stratégie ressentir (colère, indignation?) en même temps que développer l‘empathie pour le quotidien d‘enfants chiffonniers. Il est également possible ici de traiter les dimensions critiques face à la problématique du travail des enfants.
Quelle que soit la manière d’aborder cet album en classe, sa grande richesse esthétique, narrative et thématique ouvre l’horizon à de nombreuses possibilités pour enrichir les compétences en lecture et appréciation d’œuvres de littérature jeunesse.
Mes remerciements vont à Claude Burdet, qui m’a fait découvrir l’album et suggéré des manières de l’aborder en classe.
Chronique publiée le 2 juillet 2018
Par Violeta Mitrovic, assistante-doctorante à la HEP Vaud, violeta.mitrovic@hepl.ch